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cinquième livre des Histoires, où l’écrivain revenait à Titus, est perdue. Comme nous l’avons remarqué ailleurs, en traçant l’histoire des deux premiers siècles de l’empire romain, Tacile nous manque au moment où il allait devenir homérique. Il avait dit en commençant qu’avant de retracer le jour suprême d’une ville si fameuse, il lui paraissait convenable d’en exposer l’origine. Évidemment ce jour suprême annoncé dès le début avait été raconté par Tacite avec la prédilection des grands artistes pour les grandes ruines. Depuis Josèphe et Tacite, tous les historiens modernes qui ont eu occasion de s’occuper de la chute de Jérusalem ont été plus ou moins sous le double ascendant du christianisme et de la puissance romaine : nous rencontrons aujourd’hui dans M Salvador un tardif et énergique vengeur de la nationalité juive, et c’est là le côté vraiment original de son livre. On aime à voir des faits connus, souvent exposés, recevoir une couleur nouvelle et presque toujours vraie des sentimens et des nobles passions qui animent l’historien. M. Salvador ne reconnaît pas le droit insolent de la victoire, et il a gardé aux vaincus toutes ses sympathies, toute son admiration. La cause des vaincus, à ses yeux, n’est pas seulement celle des Juifs ; elle est celle de toutes les nationalités qui luttent contre la suprématie romaine. Jérusalem ne combat point seule : Arminius en Germanie, Sacrovir au sein des Gaules, Tacfarinas en Afrique, n’opposent-ils pas à Rome d’héroïques efforts ? Ce patriotisme cosmopolite, s’il est permis de parler ainsi, et l’attachement respectable de l’auteur à la foi de ses pères, ont communiqué à son récit une chaleur, un mouvement, qui en rendent dans presque toutes les parties la lecture attachante. L’effet de l’ensemble eût été plus grand encore si, à des qualités aussi recommandables, M. Salvador eût pu joindre un style plus riche plus varié, plus brillant, plus flexible, et plus empreint de cette élégance continue, sans monotonie ; qui est un des devoirs de l’historien.

Il faut chercher et étudier surtout dans M. Salvador l’homme convaincu de quelques idées fondamentales dont il poursuit avec persévérance le développement. À travers le récit des événemens politiques, il répand des opinions et des idées que nous voudrions résumer avec exactitude. Les Juifs n’étaient pas seulement une nation, ils formaient une école qui, en face de la puissance romaine, s’est pour ainsi dire dédoublée. La plus grande partie de cette école fut fidèle aux principes constitutifs de l’hébraïsme et resta sur la défensive ; voilà les Juifs proprement dits. Une autre partie se dégagea des liens étroits de la nationalité, fit alliance avec des croyances, des idées étrangères, et ne se proposa rien moins que la conquête morale des maîtres du monde ; ce sont les chrétiens. Ce dédoublement de l’hébraïsme est un point fondamental sur lequel M. Salvador insiste avec complaisance ; il considère la forme nouvelle que l’hébraïsme revêt, c’est-à-dire le christianisme,