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des intelligences par l’industrie métaphysique de sa théologie, des cœurs par la douceur ineffable de sa charité. En vain les Juifs stationnaires s’écriaient que le christianisme détruisait les fondemens de la loi, que Dieu toujours invisible n’avait jamais parlé que par des prophètes et qu’il n’avait pas pu envoyer son fils sur la terre : le christianisme continuait son œuvre, et à ces cris il répondait par le spectacle de l’humanité adorante avec transport un dieu qui l’avait assez aimé pour se faire homme et mourir pour elle.

Ainsi l’ancien hébraïsme était victorieusement contredit sur les points les plus essentiels. Son Dieu était par excellence le dieu des Juifs ; avec le christianisme, il était devenu celui de tous les hommes. L’ancien hébraïsme avait promis aux Juifs un magnifique triomphe sur la terre ; ce triomphe changeait de théâtre, et c’était dans une autre vie qu’il devait récompenser les élus. L’ancien hébraïsme avait en horreur toute représentation humaine de Dieu ; c’est par une incarnation dont le mystère est l’enveloppe d’une grande idée que le christianisme établit son empire. Voilà bien des revers, et cependant cet ancien hébraïsme, si confondu, si accablé par tout ce qui s’accomplissait, pouvait rappeler avec orgueil qu’il avait mis au monde ceux dont la victoire le désespérait : ce fut sa double destinée d’enfanter le christianisme, puis de méconnaître, de désavouer ce qu’il avait engendré.

Si l’ancien hébraïsme nourrit l’espérance que le monde pourra revenir à lui dans l’avenir et lui donner raison contre le christianisme, il se prépare de nouveaux et cruels mécomptes. S’il croit que l’humanité, en scrutant plus profondément les Écritures, y trouvera des motifs décisifs pour rebrousser jusqu’au mosaïsme, qu’il médite sur ce qui s’est passé à l’époque de Luther et de Mélanchton. Alors la Bible fut étudiée dans son originalité primitive avec une infatigable ardeur. Qui profita de tous ces travaux ? Le christianisme. Au moment même où les chefs de la réforme traduisaient les monumens du mosaïsme, ils étaient surtout émus et comme illuminés par les écrits de l’illustre déserteur de la synagogue du grand apôtre des nations. La doctrine et le génie de saint Paul ont mis entre l’hébraïsme et l’humanité une barrière éternelle. Combien compte-t-on d’exemples de la conversion d’un chrétien au judaïsme ?

Le christianisme a su s’élever à l’universalité. Dès le principe, il se montra doué d’un esprit général et supérieur à toutes les différences qui peuvent séparer les peuples et les hommes. L’hébraïsme tombait avec les murs de Jérusalem au moment où, sous le niveau de Rome, toutes les nationalités antiques disparaissaient. Le christianisme naissant assistait à cette vaste ruine avec indifférence ou plutôt avec une joie instinctive et secrète. Alaric, maître du Capitole, ne déplaisait pas