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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/813

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d’importantes lacunes. L’état songe avant tout aux enfans ; les sociétés savantes ont songé aux hommes. C’est une sollicitude dont il faut les féliciter.

Nous avons vu, dans nos recherches sur Paris, quel développement ont pris, pendant ces dernières années, les associations médicales. Ce mouvement s’est étendu sur la province. Lyon, Strasbourg, Montepellier, Moulins, Marseille, Dijon, La Rochelle, Besançon, Nîmes, Bordeaux, Tours, Nancy, Metz, Douai, Lille, Rouen, Amiens, Poitiers, ont des sociétés de médecine qui participent tout à la fois des académies et des œuvres de charité. Montpellier et Strasbourg tiennent le premier rang ; à Strasbourg c’est la pratique qui domine, à Montpellier c’est la doctrine ; l’académie de cette dernière ville, on le sait, a toujours très vivement défendu le spiritualisme, elle a occupe un rang assez éminent, elle a exercé sur le progrès une influence assez notable, pour que Desgenettes, le héros de Jaffa, ait entrepris d’en écrire l’histoire, et, quoique effacée aujourd’hui par l’école de Paris, elle n’a rien perdu de son dévouement et de son activité. Les sociétés de Lyon et de Bordeaux, de Marseille et de Nîmes, ont aussi une importance très réelle. L’Académie de Marseille publie un recueil estimé, l’Observateur provençal des Sciences médicales. Le Cercle médical de Lille, qui vient de fonder dans cette ville une collection d’anatomie pathologique comparée, publie également un Bulletin médical du nord de la France.

Partagées, comme l’Académie de médecine de Paris, en diverses sections, les sociétés médicales de la province ont, pour la plupart, des comités de vaccination et de consultations gratuites, de salubrité publique, de police médicale. Quelques-unes ont établi des cours d’hygiène, souvent même elles distribuent gratuitement des remèdes, et, de l’ensemble de leurs travaux, de l’examen des statuts qui les régissent, ressort, pour les hommes généreux qu’afflige justement le spectacle de la douleur physique en lutte avec la misère, cette pensée consolante, que, de toutes les vertus révélées par le christianisme, il en est une, la plus sainte de toutes, la charité, qui survit même aux croyances.


V.

En s’occupant de littérature, d’histoire, de théories scientifiques, les sociétés savantes restent fidèles à leur tradition : elles s’adressent aux classes éclairées, se recrutent dans leurs rangs ; mais les progrès de l’industrie et de l’agriculture ont ouvert devant elles des horizons nouveaux. Parmi les sociétés de la province, celles même qui s’annoncent par leur titre comme étant exclusivement littéraires franchissent sans cesse les limites de leur programme pour entrer de plain-pied dans les domaines de l’économie sociale, et la plupart ont des comités pour l’industrie ou l’agriculture.

En étudiant depuis un siècle le mouvement social, on est frappé de la rapidité avec laquelle se déplace ce qu’on pourrait appeler la question du progrès. En effet, le but suprême, dans le XVIIIe siècle, est d’affranchir la pensée et de conduire l’homme au bonheur par la philosophie. La révolution substitue à la philosophie la liberté et l’égalité politiques. L’empire fait tout oublier pour la gloire et des conquêtes ; la félicité du genre humain semble dépendre alors de l’abaissement de l’Angleterre. Sous la restauration, la question redevient politique, et