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garennes, les corvées, les dîmes, les privilèges qui reportaient tous les fardeaux sur les travailleurs, la concentration des grands domaines entre les mains du clergé, qui, riche au-delà de ses besoins et même de son ambition, touchait ses revenus sans s’inquiéter de les accroître, et en distribuait une partie en aumônes, créant ainsi dans les campagnes, autour des établissemens religieux, toute une population de mendians valides, encouragés dans la paresse par des primes régulières ? La révolution française changea toutes ces choses. D’une part elle fit en quelque sorti tomber le sol dans le domaine public ; de l’autre, les guerres de la république et de l’empire, en promenant nos armées à travers l’Europe, initièrent aux pratiques agricoles des divers pays ceux de nos soldats qui n’étaient point étrangers à la culture, et cette éducation propagée et appliquée par des hommes d’action créa pour l’avenir de nombreux élémens de prospérité. Enfin, sous la restauration, les travaux de M. Mathieu de Dombasle, la création de la ferme-modèle de Roville en 1823, accélérèrent le progrès, et l’on peut dire que c’est à M. de Dombasle qu’appartient le mérite d’avoir fait entrer l’agriculture dans des voies toutes nouvelles.

Depuis 1830, un mouvement actif s’est manifesté. Il y a quarante ans, les sociétés d’agriculture et les associations agricoles, étaient au nombre de quinze environ ; elles s’élèvent aujourd’hui à huit cent vingt-cinq, y compris les comices Le chiffre total de leurs membres est de cent mille, et l’on peut dire que le temps n’est pas éloigné où tous ceux qui s’intéressent en France à l’exploitation de la richesse territoriale ; soit comme praticiens, soit comme propriétaires, se rattacheront à quelqu’une de ces sociétés.

Un grand nombre d’académies des sciences, arts et belles-lettres de la province ont une section d’agriculture. Quelques sociétés sont tout-à-fait spéciales et la plupart publient des bulletins ou des mémoires. Il en est de même des comices, mais des différences assez marquées existent entre les sociétés d’agriculture proprement dites et cette dernière institution. Les sociétés d’agriculture se composent d’un nombre déterminé de membres résidens, de correspondans et de membres honoraires, et l’on exige des titulaires certaines garanties d’instruction théorique ; elles traitent les questions au point de vue scientifique ; quelques-unes d’entre elles élaborent, pour les transmettre aux conseils-généraux, des projets de réforme que ces conseils à leur tour transmettent avec une sanction officielle au pouvoir central. On peut même dire qu’en ce point elles ont pris l’initiative dans presque toutes les mesures législatives récemment adoptées ou proposées, telles que la loi sur les irrigations, la police de la chasse, l’organisation des gardes-champêtres, les droits d’octroi au poids sur l’entrée des bestiaux dans les villes, la réduction de l’impôt sur le sel, etc. Elles s’occupent en même temps de la moralisation, de l’instruction et du bien-être des classes agricoles. Les comices, dont la création remonte à peine à 1835, sont avant tout pratiques, et se composent d’un nombre illimité d’associés, pris indistinctement parmi les hommes de science, les grands propriétaires ou les petits cultivateurs, Il suffit pour en faire partie de payer une cotisation annuelle qui est ordinairement de cinq francs, et c’est un fait bien remarquable qu’en moins de douze ans, ces institutions se soient étendues sur toute la France, sans qu’une loi, une ordonnance, ou même un simple arrêté préfectoral ait provoqué leur établissement.

Nous ne suivrons point dans le détail les travaux des sociétés et des comices,