vaste parallélogramme dans lequel étaient compris les logemens des maîtres et ceux des hôtes nombreux qu’il pouvait accueillir. Plus loin s’élevaient des communs destinés aux serviteurs de toute espèce. Il était à remarquer qu’on n’y voyait ni étables, ni écuries, non plus que dans les autres fermes de ce genre. Hormis de vastes enclos de pieux où les moutons et les chèvres sont parqués la nuit, chevaux, mules, vaches et taureaux sont abandonnés à l’état sauvage. On retrouve la même insouciance dans les travaux de culture : l’homme ne vient que très peu à l’aide de la nature pour fertiliser les pâturages où ces troupeaux innombrables doivent trouver leur subsistance. Chaque année, avant le retour de la saison des pluies, lorsque huit mois de soleil ont jauni l’herbe des plaines et des collines, il incendie ces chaumes desséchés pour faire place à l’herbe nouvelle. Souvent alors le voyageur voit le soir les collines en flammes rougir l’horizon et jeter des lueurs ardentes au milieu des solitudes qu’il parcourt. Ce sont, à quelques exceptions près, les seuls indices d’industrie agricole qu’il remarque dans ces contrées.
Tous les ans, une recogida ou battue s’opère sur toute l’étendue de l’hacienda ; des milliers de chevaux, de mulets et de taureaux sont poussés au milieu des toriles. Les poulains, les jeunes taureaux que la reproduction a ajoutés à la richesse des propriétaires sont terrassés par les vaqueros[1] à l’aide de leur lazo et marqués du fer distinctif de l’hacienda. Les poulains âgés de cinq ans sont domptés, c’est-à-dire montés deux ou trois fois (quebrantados) ; puis novillos, génisses et poulains vont tâcher d’oublier au milieu de leurs querencias[2] la honte que la selle a imprimée à leurs flancs vierges, ou le signe de servitude que le fer rouge a creusé sur leur chair encore fumante. Ils attendent ainsi le moment où une vente définitive les enlèvera à leurs solitudes et les amènera au milieu des villes de l’intérieur. Là, aux risques et périls des propriétaires ou des passans, les chevaux s’accoutument à l’aspect des maisons, au roulement tout nouveau pour eux des voitures, et même à la présence de l’homme. Sous les rudes cavaliers mexicains, sous les piqûres des éperons de fer en usage parmi eux, éperons démesurés dont certaines molettes ont six pouces de diamètre, cette seconde éducation se fait aussi brusquement que la première. L’épithète de quebrantados (brisés), qu’on applique aux chevaux ainsi domptés, est d’une justesse irréprochable. Souvent, après trois ans d’indépendance absolue, pendant lesquels la présence de l’homme n’est pas venue leur rappeler l’affront qu’ils ont subi, ces animaux n’ont pas encore oublié les terribles vaqueros qui ont ployé leur reins et brisé leur orgueil.