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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/83

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Dès l’enfance, le vaquero a été dressé à l’équitation ; à peine ses jambes peuvent-elles serrer un cheval, que son père l’attache avec un mouchoir au troussequin de la selle, et le fait galoper avec lui par monts et par vaux. C’est ainsi qu’il grandit. Un jour vient où ses jambes se sont arquées le long des flancs du cheval, où tout son corps s’est assoupli à ses bonds inégaux. Le vaquero apprend alors dans ses courses vagabondes à jeter le lazo, à connaître la terre (saber la tierra), c’est-à-dire à joindre au raisonnement de l’homme l’instinct du cheval, qui discerne, à vingt lieues de distance, les senteurs des plantes qu’il est accoutumé à fouler, les émanations des arbres qui l’abritent chaque nuit, et se précipite en ligne droite, à travers les plaines, les montagnes ou les torrens, vers sa querencia préférée. Au milieu des solitudes où il passe sa vie, sans chemins tracés, sans connaître les lieux où une poursuite acharnée peut l’avoir conduit, le vaquero n’hésite jamais sur le chemin qu’il doit prendre ; la mousse des arbres, le cours des rivières ou des ruisseaux, la position du soleil, l’inclinaison des herbes, les soupirs du vent, sont autant de voix, autant de signes que le désert semble multiplier sur ses pas pour lui indiquer sa route. À cette singulière finesse de perception le vaquero unit une rare sobriété : des bribes de tortillas[1], un morceau de viande séchée, une grenade, un piment, une cigarette de paille de mais, le soutiennent tout un jour ; des flaques d’eau rousse oubliées par le soleil dans l’empreinte d’un pied de buffle ou de cheval le désaltèrent ; la fraîcheur de la nuit, la chaleur du jour, le trouvent également insensible. Lancé à la poursuite de quelque animal, rien n’arrête son essor, ni ravins, ni torrens, ni bois. Vêtu de cuir des pieds à la tête, il galope intrépidement au milieu des forêts comme au milieu des plaines. Tantôt penché à droite ou à gauche de sa monture comme un corps désossé, tantôt le torse incliné sur l’avant de la selle ou la tête renversée sur la croupe du cheval de manière à éviter le choc des grosses branches qui lui briseraient le crâne, il ne ralentit jamais l’impétuosité de sa course. Quand son inévitable lazo a étreint l’animal qu’il poursuit et qu’il veut dompter, l’intrépidité vient à l’aide de la souplesse et de la vigueur. C’est alors que le rôle du vaquero est périlleux. Cependant, au bout de deux heures au plus d’une lutte dans laquelle il a senti son infériorité, le cheval revient le corps couvert d’écume, l’œil abattu, souple, docile, dompté. Parfois aussi il ramène inanimé le cavalier qu’il a brisé contre un rocher ; mais le vaquero est mort comme il devait mourir, sans avoir été désarçonné !

J’avais souvent rencontré dans mes courses à travers le Mexique quelques-uns de ces vaqueros isolés, et j’avais pris plaisir à leurs

  1. Galettes de maïs cuites sur une plaque de fer, et qui remplacent le pain presque partout.