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après l’arrivée de ce renfort, il devait sans perdre de temps, détacher dans la Méditerranée, sous le commandement d’un officier sûr et capable, une escadre de 12 vaisseau de ligne et un nombre correspondant de frégates. Cette escadre, qui n’aurait d’autre mission que de poursuivre et d’intercepter la flotte rassemblée à Toulon, était autorisée à considérer et à traiter comme hostiles tous les ports de la Méditerranée (à l’exception cependant des ports de l’île de Sardaigne) dans lesquels les bâtimens anglais ne seraient point admis à se ravitailler. Cette dépêche officielle laissait au comte de Saint-Vincent le choix de l’officier-général auquel devait être confié cet important commandement, mais une lettre particulière du comte Spencer, premier lord de l’amirauté, l’engageait a choisir de préférence pour cette mission l’amiral Nelson, qui par sa grande pratique de la navigation toute spéciale de la Méditerranée, aussi bien que par son activité et son caractère entreprenant et résolu, semblait éminemment propre à ce genre de service. » Décidée à entraver à tout prix les prodigieux progrès de la France, l’Angleterre commençait dès-lors a jeter plus hardiment ses flottes dans la balance. Elle voyait venir à elle ce torrent qui avait déjà débordé au-delà du Rhin et de l’Adige, et comprenait enfin que ce n’était point en ménageant ses vaisseaux quelle arrêterait un ennemi qui ménageait si peu ses armées. Pour répondre à tant d’audace, il fallait de l’audace aussi, et des chefs plus déterminés que ceux qu’avait formés la guerre d’Amérique. En ce moment de crise, le souvenir de Ténériffe, loin de nuire à Nelson, devait, au contraire, le désigner aux préférences de lord Saint-Vincent et de l’amirauté.

Parti de Gibraltar le 8 mai avec ses trois vaisseaux, les frégates l’Emerald et la Terpsichore et la corvette la Bonne-Citoyenne, Nelson faisait déjà voile vers les côtes de Provence : le même jour, Bonaparte arrivait à Toulon. Les ports de Marseille, Cività-Vecchia, Gênes et Bastia avaient été appelés à concourir aux immenses préparatifs de cette expédition mystérieuse, dont personne encore n’avait complètement deviné le secret. Le 17 mai, Nelson, parvenu à la hauteur du cap Sicié, y captura un corsaire par lequel il apprit qu’il y avait en ce moment à Toulon, en y comprenant les vaisseaux vénitiens, 19 vaisseaux de ligne, et que 15 d’entre eux étaient déjà prêts à prendre la mer. Le 19, un coup de vent de nord-ouest l’éloigna de la côte et fit éprouver à son vaisseau, dans la nuit du 20 au 21, les plus graves avaries. Deux mâts de hune et le mât de misaine furent emportés par la violence de l’ouragan. Au point du jour, voyant le Vanguard complètement désemparé, Nelson se décida à fuir devant le temps, et, suivi de ses deux autres vaisseaux, il fit route vent arrière vers les côtes de l’île de Sardaigne. Cette manœuvre le sépara de ses frégates, qui à sec