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de ligne et 2 frégates. En un mot, 2 vaisseaux et 2 frégates sont seuls parvenus à m’échapper. Ce glorieux combat a eu lieu à l’embouchure du Nil et à l’ancre. Il a commencé au coucher du soleil le 1er août, et ne s’est terminé que le lendemain matin à trois heures. L’action a été chaude, mais Dieu a béni nos efforts et nous a accordé une grande victoire… Bonaparte n’a point encore eu affaire à un officier anglais. Je tâcherai de lui apprendre à nous respecter. Voilà tout ce que j’ai à vous faire connaître… Ma lettre n’est peut-être point aussi claire qu’on eût pu s’y attendre j’espère cependant que vous voudrez bien m’excuser quand je vous dirai que mon cerveau a été tellement ébranlé par la blessure que j’ai reçue à la tête, que je ne suis pas toujours aussi lucide, je le sens bien, qu’on serait en droit de le désirer. Cependant, tant qu’il me restera un rayon de raison, mon cœur et ma tête seront tout entiers au service de mon roi et de mon pays.”


Cet empressement à faire parvenir, dans l’Inde la nouvelle de la bataille d’Aboukir témoigne suffisamment de la gravité des inquiétudes que la présence d’une armée française en Égypte avait déjà excitées en Angleterre sur le sort d’un empire encore mal affermi.


« On peut trouver la chose étrange au premier abord (écrivait Nelson au comte de Saint-Vincent un mois avant sa victoire), mais, en vente, un ennemi entreprenant pourrait très aisément, soit en se rendant maître du pays, soit en obtenant le consentement du pacha d’Égypte, conduire une armée jusque sur les bords de la mer Rouge. Si alors il s’était concerté d’avance avec Tippoo-Saïb, et qu’il trouvât des bâtimens préparés à Suez, il lui faudrait à peine trois semaines pour porter ses troupes sur les côtes de Malabar ; car telle est la durée d’une traversée moyenne en cette saison, et, dans ce cas nos possessions de l’Inde se trouveraient très sérieusement compromises. »


Appréciant comme Nelson les dangers d’une pareille attaque, la compagnie des Indes avait déjà expédié les ordres les plus pressans pour qu’on mît en état de défense les points qui pouvaient être menacés par l’armée française. La destruction de notre flotte l’avait rassurée contre une tentative d’invasion qui semblait désormais impossible, et, en témoignage de sa reconnaissance, la compagnie vota au vainqueur d’Aboukir un don de 10,000 liv. sterl. Ce premier hommage n’était que l’avant-coureur des distinctions, dont Nelson allait être accablé. La compagnie turque[1] lui offrit un vase d’argent, la société patriotique un service estimé 500 liv sterl., la cité de Londres une épée de la valeur de 200 guinées en échange de l’épée du contre-amiral Duchayla que Nelson lui avait envoyée, et qu’elle fit suspendre dans la salle même de ses séances. Le sultan, l’empereur de Russie, les rois de Sardaigne et de Naples, la petite île de Zante elle-même, le comblèrent à l’envi d’honneurs et de présens. Le duc de Clarence, les vétérans de l’armée anglaise, Hood, Howe, Saint-Vincent ; Peter Parker, qui l’avait fait capitaine ;

  1. Compagnie formée à Londres pour l’explotation du commerce du Levant.