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eût pu assurément grossir l’apparence, et enlevait d’un seul coup les trophées d’Aboukir et le capitaine du Vanguard avec celui du Leander[1].

Ce n’étaient point de tels hommes, bien qu’ils eussent à combattre l’élite de la flotte anglaise, qui devaient justifier l’audace de Nelson. Sans doute leurs vaisseaux étaient bien loin de posséder cette admirable organisation des vaisseaux qu’avait formés lord Jervis ; sans doute l’incendie de l’Orient fut un accident funeste, imprévu, de nature à influer sur le sort d’un combat ; mais, malgré tant de chances réunies contre nous, la fortune eût hésité plus long-temps entre les deux armées, et n’eût point appuyé si lourdement sa main sur notre escadre, si Brueys, épargnant à Nelson la moitié du chemin, eût pu courir à sa rencontre pour le combattre. Long-temps cette guerre embarrassée et timide qu’avaient faite Villaret et Martin, cette guerre défensive, avait pu se soutenir, grace à la circonspection des amiraux anglais et aux traditions de la vieille tactique. : C’était avec ces traditions qu’Aboukir venait de rompre ; le temps, des combats décisifs était arrivé.


V.

Le premier soin de Nelson après sa victoire fut de rassurer l’Inde anglaise alarmée. Il expédia aussitôt au gouverneur de Bombay un de ses officiers, qui, débarqué à Alexandrette, gagna par Alep et Bagdad le golfe Persique et atteignit au bout de soixante-cinq jours la presqu’île de l’Indostan. La lettre que Nelson adressa en cette occasion au gouverneur de Bombay offre un échantillon curieux de son style officiel et peut faire juger du ton brusque et positif qu’il employait pour traiter les affaires :

« Je vous dirai en peu de mots, lui écrit-il, qu’une armée française de 40,000 hommes, embarqué sur 300 transports et escortée par 13 vaisseaux de ligne, 11 frégates, des bombardes, des canonnières, etc., arriva devant Alexandrie le 1er juillet. Le 7, elle en partit pour se porter sur le Caire, où elle entra le 22. Pendant leur marche, les Français ont eu avec les mameloucks quelques engagemens qu’ils appellent de grandes victoires. Comme j’ai sous les yeux les dépêches de Bonaparte dont je me suis emparé hier, je peux parler de ses mouvemens avec certitude. Il dit : « Je me dispose à envoyer prendre Suez et Damiette. Il ne s’exprime point en termes, très favorables sur le comte du pays et de ses habitans. Tout cela, est écrit d’un style si boursouflé, qu’il n’est pas facile d’en tirer la vérité. Cependant il ne fait pas mention de l’Inde dans ses lettres. Il s’occupe, dit-il, d’organiser le pays ; mais vous pouvez être convaincu qu’il n’est maître que du terrain que couvre son armée… J’ai le bonheur d’empêcher 12,000 hommes de quitter Gènes, et aussi de prendre 11 vaisseaux

  1. Le capitaine Berry, commandant le Vanguard, avait pris passage sur le Leander, commandé par le capitaine Thompson et avait été remplacé sur le vaisseau-amiral par un des jeunes officiers qu’affectionnait Nelson, Thomas Hardy, capitaine du brick la Mutine.