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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/857

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peu de goût, les libéraux ayant même protesté de leur mieux contre cette fantaisie d’antiquaire.

Après qu’on eut cité le Salvum fac regem, M. Bœckh, le prince des philologues, l’orateur officiel de l’université ; fit le discours de rigueur avec belle sa belle latinité de vrai cicéronien, de bénignitate principali ; puis le recteur sortant, avant de remettre à son successeur les insignes de sa dignités rendit compte de l’année qui finissait et proclama la liste du sénat académique pour l’année courante. Parmi les noms inscrits, sur cette liste, il y en eut un qui provoqua je ne sais quelle sourde rumeur, moitié de colère et moitié d’ironie : ce fut le nom de M. Hengstenberg, doyen désigné de l’ordre des théologiens, et, tandis qu’on se retirait en psalmodiant un miserere, il était des gens qui pensaient assez haut : Oui, vraiment mon Dieu ! ayez pitié de nous, car ce n’est point Hengstenberg qui nous féra miséricorde.

Quel était donc ce formidable docteur que j’avais entendu citer partout comme le plus intraitable adversaire d’un siècle de tolérance, comme le plus hardi contempteur de la raison profane, comme le dernier champion d’une cause perdue ? Il fallait arriver à Berlin dans ce moment-là pour comprendre l’homme, son entourage et son parti. M. Hengstenberg se trouvait alors l’objet d’une animadversion tout-à-fait publique, et dont le peu de passion qu’il y a maintenant chez nous ne saurait donner aucune idée. Pouvait-il en être autrement ? En pleine terre protestante et sous prétexte de sauver le protestantisme, M. Hengstenberg acceptait et prêchait les idées les plus rigoureuses que l’école absolutiste ait jamais inventées pour exposer à son point de vue la doctrine catholique. Habile meneur, hardi publiciste, plutôt qu’érudit ou dialecticien, M. Hengstenberg entreprit, bien jeune encore, la rédaction de la Gazette évangélique (Evangelische Kirchen zeitung). C’était en 1827, et, il avait à peine vingt-quatre ans. M. d’Altenstein, le noble patron de Hegel, se : méfiait déjà de l’activité du nouveau théologien ; il ne la jugeait point assez purement scientiflque. Au milieu de cette église envahie par la métaphysique de Hegel, par la sentimentalité platonicienne de Schleiermacher, par la froide critique des rationalistes, il y’avait un rôle à jouer : on pouvait se faire le représentait de ce méthodisme populaire qui, pour être moins répandu dans le nord que dans le midi de l’Allemagne, y tenait cependant sa place. L’union du culte luthérien et du culte calviniste, imposée par Frédéric-Guillaume III, ne s’était pas accomplie sans déchiremens ni sans résistances. Les résistances vaincues, mais non pas universellement étouffées, s’étaient réfugiées dans les conventicules, et l’esprit de secte regagnait en détail ce qu’il semblait avoir perdu d’un coup par ordonnance. Au plus beau moment du triomphe des philosophes, M. Hengstenberg eut le mérite d’entrevoir les élémens cachés d’une réaction dévote ; il en pressentit l’avenir, il la