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leur dieu, n’admettant pas qu’ils fussent au monde pour une autre fin que pour cuire de la brique. » Voilà les pèlerinages et les reliques réhabilités maintenant par les propres enfans du moine indompté qui fit si bonne guerre aux vendeurs d’indulgences ! Mais qu’est-ce, après tout, que cette insurrection de l’ecclésiaste de Wittemberg et le beau triomphe qu’il a remporté ? – Il a brutalement frappé du poing sur un chef-d’œuvre auquel l’esprit humain avait travaillé dix siècles, souvent même avec l’appui visible de Dieu, et il était trop étroit d’intelligence, trop borné dans son savoir pour comprendre ce qu’il détruisait ! – Aussi voudrait-on relever le plus qu’on pourrait de l’édifice ; les piétistes de Berlin ont à l’endroit des images, des cierges, des encensoirs et des chasubles, la même affection rétrospective que les puseïstes d’Oxford, ils admirent de tout leur cœur cette organisation puissante sur laquelle repose le saint-siège, ces grandes sociétés monastiques dont il sait si bien utiliser l’indestructible énergie, et telle est en particulier leur estime pour le savant mécanisme de la compagnie de Jésus, qu’ils en sont presque à désespérer de rivaliser avec elle.

La Gazette évangélique ne s’oublie pas à ces considérations trop purement historiques : naturellement elle tâche d’employer à mieux la sagesse qui les dicte et d’en tirer des résultats plus positifs. L’illustre auteur de l’Esprit des lois s’étonnait fort qu’on lui reprochât d’avoir commencé son ouvrage sans parler au début du péché originel et de la grace, et il répondait qu’il n’était pas un théologien, mais un politique pratiquant une science civile et non point religieuse. Les jansénistes qui l’avaient ainsi accusé d’impiété dans leurs Nouvelles ecclésiastiques, passèrent alors pour battus, sinon pour contens, et ne trouvèrent rien à répliquer. La réplique aujourd’hui n’eût pas manqué ; les Nouvelles ecclésiastiques qui vivent de notre temps ne seraient pas si mal à propos demeurées muettes. Il n’y a plus, en effet, de science civile qui tienne, et tous les politiques doivent se faire d’église. Cela se dit à Berlin comme à Paris. Le gouvernement n’est rien s’il gouverne en dehors d’un point de vue confessionnel et ne s’asseoit pas tout entier sur un dogme. Il faut une administration chrétienne, des fonctionnaires chrétiens des collèges chrétiens. Si l’on en croyait M. Hengstenberg, l’évangélisme serait dans une situation beaucoup plus favorable que le catholicisme pour réaliser cet idéal. Les catholiques ont voulu assurer à la fois et leur indépendance en séparant le spirituel du temporel, et leur empira en subordonnant partout l’un à l’autre. Les évangéliques ont bien mieux réussi dans cette entreprise de domination : ils ont repoussé la vieille distinction du moyen-âge, trop féconde en détours et en équivoques ; ils ont à ciel ouvert confondu l’église avec l’état ; non pas, suivant eux, que l’état absorbe et efface l’église, comme on l’a méchamment insinué ; c’est l’église, au contraire, qui, disent-ils, embrasse