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à leur tour cette infaillible autorité du luthéranisme primitif dont ils ont voulu faire l’égale de l’infaillibilité romaine. En attendant, quelques pasteurs bien soutenus par la Gazette de M. Hengstenberg ont imaginé de refuser la bénédiction nuptiale lorsque l’un des futurs conjoints aurait été déjà engagé dans un précédent mariage dissous par la loi sans l’être par la nature. Ils ont argumenté des scrupules de leur conscience pour ne point remplir cet office de consécrateur, qui, en l’absence des magistrats civils, était une nécessité d’ordre public. Ils ont obtenu gain de cause, un arrêt de cabinet, rédigé sous l’empire de ce provisoire qui frappe aujourd’hui toutes les institutions religieuses de l’Allemagne, a décidé, en 1845, que les ministres récalcitrans pourraient se décharger d’une fonction qui les blessait et renvoyer les fiancés en instance devant un collègue moins timoré. Singulière délicatesse qui, ne permettant pas de risquer son ame dans un contrat illicite, permet en même temps d’inviter son voisin à le faire ! singulier expédient qui, pour peu que cette délicatesse sacerdotale se répandît davantage, obligerait les futurs époux à courir le pays, leur dimissoire à la main, cherchant avec plus ou moins de succès, et peut-être aussi de péril, qui voulût bien enfin les marier ! Évidemment, il n’y a là que le ridicule et l’impuissance d’une demi-concession. M. Hengstenberg et ses collaborateurs réclament maintenant la concession tout entière, et prétendent de fort bon sens que, si l’époux divorcé ne peut passer à de secondes noces, c’est que les premières subsistent. Qui l’emportera, du code ou du piétisme ? Il n’y a plus qu’un pas à enlever ; et l’on boude le roi sur ce chapitre-là : c’est une petite guerre qui ne fera point de martyrs.

Que cette opposition peu hasardeuse est d’ailleurs sagement compensée ! comme ces agitateurs religieux sont au besoin de bons amis politiques ! comme ils secondent à propos ces beaux desseins inédits de monarchie vertueuse dont on aime à se bercer dans les hautes régions de la cour ! Lisez la Gazette évangélique, c’est là qu’on vous apprendra ce qu’il faut penser du grand Frédéric, — un héros, un Arminius perdu par la littérature française, et qui n’avait aucun rapport intérieur avec le Christ. Aussi quelle fatale influence n’a-t-il pas exercée sur la législation prussienne, écrite en quelque sorte à son image et tout imprégnée des poisons de la révolution qui allait éclater en 89, vrais fruits de la mer Morte, fruits dorés remplis de cendres amères !

N’est-ce point dans ce damnable esprit que les rédacteurs du code ont supprimé partout le titre de roi pour dire en place l’état, le chef de l’état, expressions abstraites malheureusement empruntées au vocabulaire philosophique, et qui peuvent s’appliquer à d’autres formes de gouvernement qu’à ce gouvernement paternel établi depuis quatre siècles, sous la protection divine, dans l’illustre maison de Brandebourg ? Il