Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurait-elle la prétention de rester neutre ? ou bien voudrait-on nous faire entendre que, dans l’alternative d’un choix, elle passerait du côté de l’Europe, c’est-à-dire du côté de l’Angleterre, qui tuerait en six mois son industrie ; du côté de la Prusse, qui rêve le Bas-Escaut pour limite naturelle ; du côté de la Hollande, qui attend des restitutions ? En vérité, ce n’était pas alors la peine à nous de prendre la citadelle d’Anvers. Voici le plus piquant. Les libéraux s’aperçoivent que l’épouvantail jadis souverain de l’indépendance a beaucoup perdu de son efficacité ; comme l’a dit avec une amère franchise M. Lebeau, ce mot de « nationalité » jeté hors de propos dans une question d’affaires « n’excite plus que le sourire. » Les argumens protectionnistes restent même sans force. Mais attendez : les libéraux ne sont pas si vite à bout d’expédiens. Aux partisans de l’union douanière, ils opposeront les partisans du libre échange, et M. de Brouckère, à qui revient l’honneur de cette diversion, organise aussitôt une association de libres échangistes à laquelle il ne manque plus qu’une raison d’être et un Richard Cobden. Le remède est héroïque : la Belgique une fois ouverte à tout venant, la France ne se mettra certainement pas en frais pour obtenir l’union.

Cela se dit crûment, mais cela n’est pas discutable : si la coterie anti-française, osons l’appeler par son nom, avait à cœur d’exaspérer les industries unionistes, et même de leur rallier celles des industries qui repoussent encore l’union, elle ne s’y prendrait pas mieux. L’union douanière avec la France serait assurément pour les unes et les autres un pis-aller préférable à cette étrange aberration commerciale qui voudrait substituer sur le marché belge, aux houilles de Mons et de Liège, tes houilles de Newcastle ; aux toiles et aux calicots de Gand, ceux de Manchester ; aux fontes de Charleroy, les fontes de Birmingham ; aux draps de Tournay et de Verviers, les draps de Leeds ; à la coutellerie de Namur, la coutellerie de Sheffield ; à toutes les industries belges enfin, un concurrent dont la supériorité manufacturière leur fermerait pour long-temps toute chance de réciprocité. La menace a déjà porté coup sur le groupe protectionniste. La société cotonnière de Gand a répondu aux libres échangistes par un manifeste où elle se range implicitement du côté de l’union.

Voilà sous quels auspices se rouvre la session et s’approchent les élections de 1847. Si les catholiques savent exploiter les craintes qu’inspire aux différentes industries cette double attitude du parti libéral, s’ils savent entraîner les votes incertains en proclamant officiellement la nécessité prochaine de l’union, nul doute que le lent travail des associations libérales et des loges maçonniques ne se trouve, sinon détruit, du moins neutralisé. On ne tue pas les idées, dit-on ; mais les intérêts n’attendent pas, et, dans le premier choc, ils ont toujours l’avantage.