était parvenu à serrer à l’extrémité de la lèvre supérieure du cheval contraignait, par une étreinte douloureuse, l’Endemoniado à l’obéissance. Cette lèvre gonflée témoignait de la résistance du quadrupède, qui justifiait parfaitement son nom. C’était un alezan brûlé, à balzanes blanches, buvant dans le blanc, comme on dit en termes de manège : signe infaillible d’un caractère vicieux. Son œil, à moitié voilé par une houppe de crins qui tombait sur son front, brillait d’un morne éclat. Ses oreilles étaient pointées en avant ; sa longue crinière flottait en désordre, et ses sabots durs et pointus rendaient un son métallique contre les cailloux chaque fois qu’il s’élançait sur Cayetano, qui, d’un coup retentissant de sa cravache plombée, le repoussait en arrière. En un mot, l’aspect du cheval était plus effrayant encore que celui de son redoutable guide.
— Vos vaqueros vont me savoir gré de leur amener ce bel animal, n’est-il pas vrai ? dit Cayetano en s’adressant à don Ramon, tandis qu’un sourire brutal crispait sa figure, d’autant plus que ce n’est pas sans peine, car voilà deux jours que je le poursuis.
— En effet, dit don Ramon, j’étais étonné de ne pas te voir ici. Allons, mes enfans, qui de vous va monter l’Endemoniado ? Pour l’honneur de l’hacienda, ce cheval ne doit pas aller se vanter à ses camarades de vous avoir fait peur à tous.
Personne ne répondit à ce défi, car personne n’osait tenter l’impossible. Pendant que l’hacendero jetait autour de lui des regards mécontens, Cayetano semblait chercher des yeux quelqu’un qu’il n’apercevait pas ; tout d’un coup, à la vue de Benito, qui, malgré lui ramené vers l’estrade, s’enivrait d’une contemplation muette :
— Seigneur don Ramon, s’écria-t-il, voici quelqu’un qui ne se refusera pas à monter Endemoniado en présence de vos seigneuries.
Et il lança sur le jeune homme un regard farouche que celui-ci lui rendit aussitôt.
— Si vous pensez, dit Benito en s’avançant vers don Ramon, que je doive me faire tuer pour soutenir l’honneur de l’hacienda, je suis prêt, seigneur don Ramon, à exécuter ce que vous m’ordonnerez.
Comme le gladiateur prêt à mourir saluant César, Benito s’inclina gracieusement devant l’hacendero. Celui-ci sembla hésiter en rencontrant le regard suppliant de sa fille.
— Je n’ai pas le droit, s’écria-t-il, de l’ordonner de te faire tuer pour moi ; mais, si tu veux tenter l’aventure, je t’en accorde pleine et entière permission.
— C’est bien, reprit Benito, je monterai l’Endemoniado.
— Si cependant vous avez peur, dit Cayetano en ricanant d’un air de mépris, je le monterai pour vous.
— Chacun son rôle, reprit Benito. Vous devez, ainsi qu’il a été