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l’avertira au moment où il risquerait de se laisser aller à quelque peinture vulgaire. Je me souviens des craintes d’un homme de goût en entendant Jasmin lire l’Aveugle de Catelcuillè. La pauvre aveugle qui a tout perdu, qui se débat tristement dans sa nuit éternellement noire, forcée de dire adieu au jour et à l’amour qui est la lumière du cœur, veut assister au mariage de son infidèle fiancé ; elle s’est promis toutefois de ne pas survivre à ce cruel abandon ; et elle cache un couteau sous le mouchoir qui couvre son sein pour aller se tuer dans l’église même. C’était cette scène qui apparaissait comme une redoutable épreuve pour le talent du poète : ce suicide semblait déparer l’ensemble de l’œuvre ; ce couteau allait dénouer l’action comme un mélodrame vulgaire, mais, au moment fatal, ce n’est plus le couteau, c’est la douleur qui tue la jeune fille. Un ange vient. Arracher son ame vierge à ce corps souffrant pour l’emporter au ciel. Mystérieuse et poétique fin où la fatalité, aveugle d’ordinaire, se montre clémente, intelligente, en tranchant des jours qui ne pourraient plus connaître le bonheur ! C’est là le mérite de Jasmin, de multiplier ces scènes touchantes dont l’intérêt reste toujours, élevé et pur.

Il y a dans les œuvres du poète méridional toute une partie, entièrement personnelle qui égale les plus beaux essais, de poésie intime. Jasmin excelle à développer quelque circonstance de sa vie, quelque sentiment qui lui est propre ; c’est un procédé qui lui est commun avec de grands écrivains de notre temps. Cependant sa poésie intime conserve un caractère original ; elle est triste sans amertume, comme elle est railleuse sans méchanceté ; c’est une philosophie douce et consolante qui se répand sur toutes choses, qui repose et qui émeut et fait vibrer tour à tour toutes les cordes de la nature humaine. On a pu remarquer dans Jasmin, en lisant quelques-unes de ses pièces, un peu du Gaulois Marot ; ce ne serait pas trop dire souvent que de le comparer à Horace, — un Horace populaire qui se peint tout entier avec délices dans ses écrits. Il a surtout du poète romain cet art merveilleux de condenser la pensée de décrire avec précision, sans oublier un seul trait dans ses peintures, et il en a aussi le sentiment. C’est ce qui fait que sa poésie intime à des couleurs et des accens particuliers. Cette portion de es œuvres commence aux Souvenirs, où revit toute sa jeunesse ; elle se continue dans plusieurs épîtres d’une haute valeur, notamment dans celle à un agriculteur de Toulouse qui lui conseillait de venir faire fortune à Paris. Oh ! que Jasmin est mieux inspiré et qu’il répond victorieusement en faisant un retour sur lui-même ! « . Sitôt, dit-il, qu’on entend dans l’été – ce joli zigo ! ziou ! ziou ! – de la sautillante cigale, — le passereau s’échappe et déserte le nid - où il sentit pousser des plumes à ses ailes. — L’homme sage n’est pas ainsi ; — il aime toujours la vieille maison — où