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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/933

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adressé pour son compte une protestation au cabinet de Vienne, et qu’il allait en envoyer copie à lord Normanby, avec invitation de la communiquer à M. Guizot. C’était décliner d’une manière directe et polie l’offre d’une protestation en commun.

Lord Palmerston n’a donc pas considéré l’exécution diplomatique de Cracovie comme un fait assez grave pour motiver l’accord des deux grands gouvernemens représentatifs de l’Europe et les déterminer à un oubli momentané de leurs dissentimens La démarche de la France aura du moins pour résultat de constater officiellement cette manière de voir. On sait aujourd’hui dans quel esprit a été rédigée la protestation que lord Ponsonby, au nom du cabinet britannique, a présentée à la cour de Vienne. Il est impossible de protester contre une violation flagrante du droit des gens avec plus de douceur. On dirait que de la part de lord Palmerston c’est plutôt une sorte d’acquit de conscience que l’expression d’une conviction profonde. Tout en rappelant que des stipulations arrêtées par huit puissances ne sauraient être modifiées et annulée par trois d’entre elles, il paraît que le ministre anglais ne traite pas le point important de l’infirmation générale des traités de Vienne par la conduite des cabinets du Nord. C’est une conséquence que lord Palmerston cette fois n’a garde de signaler. Cependant cet été, dans la chambre des communes, le ministre anglais avait exprimé l’espérance que les trois cours remettraient la république de Cracovie sur le pied d’indépendance où elle se trouvait placée auparavant, conformément au traité de Vienne. Selon lui, ces puissances seraient assez intelligentes pour reconnaître que le traité de Vienne doit être conservé intégralement, et qu’il n’est pas possible de choisir parmi les articles pour violer les uns et exécuter les autres ; car enfin, ajoutait lord Palmerston, « il ne saurait échapper à la perspicacité de ces gouvernemens que, si le traité de Vienne n’est pas bon sur la Vistule ; il doit être également mauvais sur le Rhin et sur le Pô. C’était tenir un langage énergique, c’était presque inquiéter sur leur avenir les trois cours qui avaient déjà commencé de méconnaître les droits de Cracovie. Pourquoi donc aujourd’hui lord Palmerston met-il des sourdines à sa parole, si vibrante et si fière il y a quelques mois ? Pour baisser de ton d’une manière aussi sensible, il ne peut avoir d’autres motifs que les sentimens hostiles qui l’animent aujourd’hui à l’égard de la France, et la crainte de venir en aide à cette dernière, s’il réglait sa conduite sur le discours qui, le 17 août dernier, excitait dans la chambre des communes une bruyante sensation.

La contradiction que nous signalons entre les paroles de lord Palmerston et la conduite qu’il tient aujourd’hui ne lui échappe assurément pas à lui-même, et, pour la sentir, il n’a pas besoin d’avertissemens étrangers. S’il passe par-dessus cette contradiction, c’est qu’il a devant lui un but auquel il veut arriver à tout prix. Ce but, il faut le dire, c’est l’humiliation de la France. Nous ne voulons ni rien envenimer, ni rien exagérer ; nous ne voulons pas davantage faire de lord Palmerston un brouillon vulgaire, et répondre à sa malveillance contre nous par une injuste appréciation de sa valeur politique. Ses talens sont incontestables ; ses adversaires les plus éminens, sir Robert Peel, lord Aberdeen, reconnaissent hautement tout ce qu’a de redoutable cet esprit vif et actif, non moins puissant dans les travaux du cabinet que dans les débats de la tribune. Toutes ces qualités sont pour nous autant de motifs de se rendre bien compte des intentions