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ni la prose. Sous le rapport de l’étendue, elle a donc moins d’importance que les messes ordinaires du même maître, et, sauf l’offertoire, morceau réellement digne de lui, les fragmens qui en ont été exécutes aux séances de M. le prince de la Moskowa nous ont montré qu’elle leur était fort inférieur.

Apres Palestrina, la messe de Jomelli, intitulée également Missa pro defunctis, a joui long-temps d’une grande célébrité. Nous ne saurions fixe l’époque précise à laquelle cet ouvrage fut composé L’auteur était né en 1714, année de la naissance de Gluck, et, comme Gluck, il commença d’écrire fort tard. Il est à croire que cette messe de Requiem vit le jour durant les vingt ans que Jomelli passa à Stuttgart en qualité de maître de chapelle du prince de Wurtemberg. Au point de vue liturgique, cette messe est plus complète qu’aucune de celles du même genre dues aux autres compositeurs ; car, outre l’Introït et la Prose, elle contient encore le Libera, qui, comme nous l’avons dit, se chante à l’absoute. Nous sommes ici en pleine musique moderne. Une révolution fondamentale s’est opérée, et depuis un siècle et demi, dans l’art musical, à l’harmonie consonnante des modes ecclésiastiques a été substitue le système d’harmonie basé sur la dissonnance. Toutefois le style pittoresque n’existe pas encore. Ni Jomelli, ni Pergolèse, dans son Stabat, ne songent à demander à l’orchestre l’éclat de ses images et de ses couleurs ; un simple quatuor d’instrumens à cordes leur suffit pour accompagner les voix et soutenir l’harmonie. Le père Martini blâmait Pergolèse de n’avoir marqué aucune différence entre le style du Stabat et celui de ses ouvrages dramatiques. Si jamais reproche ne fut plus fondé, jamais il n’en fut de plus inutile. Il s’adresse avec une égale justesse à Jomelli, à Haydn, à Mozart, à Cherubini. Ce n’est pas la faute des compositeurs ; mais celle du système qui a triomphé. Ce qui surprendra bien des personnes aujourd’hui, c’est que la messe des morts de Jomelli est écrite d’un bout à l’autre en ton majeur. Ceci est remarquable, et prouve qu’avec des idées de convenance bien arrêtées, les compositeurs d’une certaine époque n’attachaient pas la même importance que nous à des choses qui nous paraissent rigoureuses. Quoi qu’il en soit, l’œuvre de Jomelli, ne contînt-elle qu’un morceau de la force de l’Introït, serait digne de sa réputation. Ce début est calme et majestueux. C’est bien là le repos éternel, cette paix sans fin que l’église demande pour ceux qui ont combattu pendant leur vie terrestre. Le Dies irae n’est pas sur ce ton. Ainsi que nous venons de le faire entendre, pour apprécier un morceau de cette étendue, il faudrait se désintéresser de nos préjugés habituel, faire la part des formes reçues à une époque déjà loin de nous, et se rendre compte de certaines convenances dont la raison nous échappe. Citons pourtant, entre autres fragmens, le Pie Jesu et le retour du Requiem dans le Libera. Il y a là un grand style, une belle et touchante expression, qui montrent qu’après tout génie sait, à ses instans, élargir le cercle des théories contemporaines, s’élever au-dessus de son temps, et plier les formes de convention à des inspirations dignes de l’art qui ne meurt point.

La circonstance à laquelle on doit le Requiem de Mozart est trop connue pour que nous nous croyions obligé de la rappeler. Cet ouvrage fut le dernier de l’auteur de Don Juan, et, bien que resté inachevé, bien qu’il ait été terminé par une main habile et discrète qui sut déguiser sa touche sous celle du maître, il peut être considéré comme un des chefs-d’œuvre les plus originaux sortis de la plume de ce génie créateur et fécond. Cette tristesse intime, cette divine mélancolie,