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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/953

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que les natures du même ordre chez un peuple plus frivole et moins compassé.

À l’âge de soixante ans, sir William, épris d’une passion subite, épousa la maîtresse de son neveu[1]. Cette maîtresse, connue à Londres sous le nom de miss Emma Harte, était, s’il faut en croire des témoignages contemporains et le portrait qu’en a laissé le célèbre peintre Romney, une des femmes les plus séduisantes de son temps ; mais, fille d’une pauvre servante du comté de Galles, qu’elle décora, aux jours de sa grandeur, du nom de mistress Cadogan, Emma Harte avait passé sa jeunesse dans les plus singulières et les plus suspectes aventures. Toutes ces circonstances, dont il était instruit, n’empêchèrent pas sir William de l’épouser. Il ne se montra point d’ailleurs plus soucieux de l’avenir que du passé, et, doué au plus haut degré de toutes les qualités d’un mari complaisant, il vécut pendant plus de quatre ans entre sa femme et lord Nelson sans prendre ombrage de leurs relations, appelant Nelson son meilleur ami et l’homme, le plus vertueux qu’il eût jamais connu. À son lit de mort par un premier trait d’humour, il légua sa femme aux soins de cet excellent ami et la plus grande partie de sa fortune à son neveu. — Quant à lady Hamilton, avec cette souplesse merveilleuse qui n’appartient qu’aux femmes, elle s’était bientôt mise au niveau de sa nouvelle fortune. Présentée à la cour de Naples elle était parvenue à gagner l’affection de la reine, et nul embarras ne semble avoir trahi, dans la sphère élevée où la porta si soudainement le sort, la honte de sa vie passée et la bassesse de son, origine.

La cour de Naples, où la prude Angleterre avait alors de si étranges représentans était la cour des irrésolutions et des perfidies. Le roi et la reine étaient bien d’accord pour détester la France ; mais la haine du roi était indolente et craintive, celle de la reine active et énergique. La politique du gouvernement oscillait entre ces deux influences, obéissait un jour aux terreurs d’un Bourbon d’Espagne et le lendemain aux emportemens d’une archiduchesse d’Autriche. Un étranger, cher aux deux souverains, dirigeait les affaires dans cette voie tortueuse ; c’était un autre Godoy, le chevalier Acton, qui gouverna la reine pendant plus de vingt ans. Né à Besançon en 1737, Acton, fils d’un médecin irlandais, après quelques années d’une vie aventureuse, fut appelé en 1779 à la cour de Naples, et obtint successivement, par la faveur de la reine, le ministère de la marine, celui de la guerre et celui des affaires étrangères, qu’il conservait encore en 1798. Entièrement dévoué à l’alliance anglaise, lie d’une amitié particulière avec sir William Hamilton, ce favori ne fut durant son long règne que l’instrument servile du cabinet britannique.

Depuis 1776, la reine avait obtenu, par la naissance d’un fils et suivant

  1. En 1791 : lady Hamilton avait alors près de trente ans.