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Lady Hamilton le donna à la reine et mit la flotte anglaise au service de toutes les passions de la cour de Naples.

La correspondance de Nelson témoigna bientôt des ridicules excès où se laissait entraîner sa soudaine tendresse. « Ne soyez pas surpris, écrivait-il à lord Saint-Vincent, de la confusion étrange qui règne dans cette lettre. Je vous écris en face de lady Hamilton, et, si votre seigneurie était à ma place, je doute fort qu’elle pût écrire encore aussi bien. Il y a là de quoi troubler le cœur et faire trembler la main. » Plus il demeure à Naples et plus le joug s’appesantit. Le poison qu’ont reçu ses veines se fait jour de toutes parts et transpire à travers mille extravagances. Bientôt il n’achève plus une lettre sans y mêler le nom de lady Hamilton Lord Saint-Vincent, le comte Spencer, l’ancien vice-roi de la Corse lord Minto, l’empereur Paul Ier qui, sur sa demande, accorde à lady Hamilton l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, sa femme elle-même, cette compagne irréprochable et dévouée de sa jeunesse, cette amie éprouvée de son humble fortune, tels sont les confidens que va prendre son fol enthousiasme. « Où en serais-je, s’écrie-t-il, sans le bon sir William, sans l’incomparable, l’inappréciable lady Hamilton !… Ce sont leurs soins qui m’ont rendu la santé… Tous deux sont aussi grands par le cœur que par l’esprit… Qu’ils approuvent ma conduite, et je brave l’envie du monde entier !… Je ne voudrais rien faire sans les consulter.., car ma gloire leur est plus chère qu’à moi-même… Tous les trois nous ne faisons qu’un. » Tria juncta in uno, c’est ainsi qu’il désigne, que sir William désigne lui-même cette singulière association.

La veuve du docteur Nisbett avait eu de son premier mariage un fils qui, entré dans la marine sous le patronage de Nelson, avait rapidement franchi les premiers degrés de cette carrière. Déjà lieutenant à Ténériffe, le jeune Nisbett avait accompagné Nelson dans cette expédition. Ce fut lui qui releva l’amiral quand il fut renversé au fond de son canot par le boulet qui l’atteignit au moment où il mettait le pied sur le môle. Il lui lia fortement le bras avec sa cravate de soie, arrêta le sang qu’il perdait par sa large blessure, et, grace à cette présence d’esprit, lui sauva probablement la vie. Nelson aimait ce jeune homme dès son enfance, et cette circonstance les avait attachés davantage encore l’un à l’autre. Ce fut le premier lien dont il fit le sacrifice à sa fatale passion. Inquiet de l’influence plus marquée chaque jour qu’une femme sans pudeur semblait prendre sur l’époux de sa mère, le jeune Josué Nisbett, qui commandait alors la frégate la Thalie sous les ordres de Nelson, ne sut point dissimuler son mécontentement. D’abord importun, l ne tarda point à devenir odieux. Une circonstance fortuite, une offense publique dont lady Hamilton eut à se plaindre, fit éclater le courroux de l’amiral. Le capitaine Nisbett reçut l’ordre de quitter l’escadre, et Nelson sembla se séparer sans regret d’un jeune homme qui