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avait si long-temps combattu à ses côtés, et à qui il avait témoigné jusqu’à ce jour la tendresse et la sollicitude d’un père.

Mais quelle affection eût pu résister dans son cœur à ce charme tout puissant qui captivait ses sens et fascinait ses yeux ? « Lady Hamilton est un ange, écrivait-il au comte de Saint-Vincent, qui, déjà sexagénaire, devait s’étonner un peu de ces singulières confidences ; c’est un ange, et je place en elle toute ma confiance. Soyez sûr, mon cher lord, qu’elle la mérite entièrement. » Lady Hamilton est devenue en effet, près de la cour de Naples, l’interprète empressée de sa politique impatiente. C’est à elle qu’il adresse ses plaintes, qu’il confie ses plus secrètes inquiétudes ; c’est elle et non plus sir William, qu’il charge de les porter jusqu’au pied du trône. Voici le manifeste qu’il rédige à cette occasion ; déjà le style de Nelson a changé ; à la précision nerveuse, à la simplicité puritaine de ses premières dépêches a succédé une emphase verbeuse qui rappelle les proclamations de Ferdinand IV :


« Chère madame (écrit-il à lady Hamilton, le 3 octobre 1798), je ne puis envisager, sans en être ému, les maux qui (j’en suis certain, bien que je ne sois pas un homme d’état) ne peuvent manquer d’accabler ces contrés, aujourd’hui si loyales et si dévouées, grace à la pire de toutes les politiques, celle de la temporisation. Depuis mon arrivée dans ces mers au mois de juin dernier, j’ai vu dans les Siciliens le peuple le plus attaché à ses souverains, le plus ennemi des Français et de leurs principes. Depuis mon arrivée à Naples, j’ai trouvé toutes les classes de la société, de la plus élevée jusqu’à la plus infime, pleines d’ardeur pour une guerre contre la France ; car personne n’ignore que la république prépare une armée de brigands pour piller ces royaumes et y détruire la monarchie. J’ai vu le ministre de ce gouvernement insolent laisser passer sans observation la violation manifeste du troisième article du traité conclu entre sa majesté et la république française[1]. Cette conduite inusitée ne mérite-t-elle pas une sérieuse attention ? N’est-ce pas la coutume des Français d’endormir les gouvernemens étrangers dans une fausse sécurité pour les détruire plus facilement ensuite ? Comme je l’ai déjà établi, tout le monde ne sait-il pas que le pillage doit commencer par Naples ? Puisqu’on le sait et puisque sa majesté a une armée toute prête à entrer dans un pays qui l’appelle, pourquoi donc attendre la guerre sur son territoire, quand on peut la porter à l’extérieur ? L’armée du roi devrait être en marche depuis un mois… Si l’on veut persister dans ce misérable, dans ce pernicieux système d’ajournement, il ne me reste plus qu’à recommander à mes amis de se tenir prêts à s’embarquer au premier signal. Ce sera alors mon devoir de pourvoir à leur sûreté et à celle (je gémis de penser qu’une pareille mesure peut devenir nécessaire) de l’aimable souveraine de ces états et de sa royale famille. J’ai lu avec admiration son incomparable lettre de septembre 1796, si pleine d’une véritable noblesse. Puissent les conseils des Deux-Siciles être toujours guidés par de pareils sentimens de dignité, d’honneur et de justice, et puisent ces paroles du grand William Pitt, comte de Chatham, pénétrer jusqu’au

  1. Article qui interdisait au roi des Deux-Siciles d’admettre plus de 4 bâtimens de guerre anglais à la fois dans la baie de Naples.