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arraché les épaulettes de quelques-uns de ces misérables pour les donner à de bons sergens… Tant de trahison et de lâcheté a fini par abattre le cœur de cette grande reine. Elle ne sait aujourd’hui en qui placer sa confiance. »

La cour, en effet, ne se croit plus en sûreté à Naples et songe à se réfugier en Sicile. Le 15 décembre, Nelson mouille son vaisseau hors de la portée des forts et rappelle à Naples le capitaine Troubridge, détaché avec deux vaisseaux sur la côte de Toscane « Le roi est de retour, lui écrit-il, et tout va au plus mal. Pour l’amour de Dieu, hâtez-vous et n’approchez de cette baie qu’avec précaution. C’est probablement à Messineque vous me trouverez ; mais informez-vous, en passant devant les îles Lipari, si nous ne sommes pas à Palerme. » La frégate l’Alcmène et trois vaisseaux portugais, sous les ordres du marquis de Niza, le rallient à propos dans ces circonstances critiques, et la fuite de la cour se prépare avec le plus profond mystère. Chaque nuit, par un passage souterrain qui conduit du palais au bord de lamer, lady Hamilton dirige elle-même le transport clandestin des joyaux et de l’argent de la couronne. Les antiquités les plus précieuses, les plus beaux chefs- d’œuvre des musées, les meubles des résidences royales de Naples et de Caserte, le numéraire et les lingots qui restent encore dans les banques publiques ou à l’hôtel de la monnaie, sont portés par les embarcations anglaises à bord du vaisseau le Vanguard. On montre encore au musée de Naples un anneau d’or, trouvé à Pompéi, que le roi Charles III y déposa en partant pour l’Espagne : « Je ne puis emporter, dit-il, ce qui est la propriété de l’état. » Son fils n’imita point ce généreux exemple, car il ne songea à quitter la capitale de son royaume qu’après avoir fait transporter sur l’escadre anglaise des richesses dont la valeur fut estimée par Nelson à plus de 60 millions de francs.

Quand ces trésors furent embarqués, le plus difficile restait encore à faire. Il fallait enlever la famille royale du milieu d’un peuple ombrageux et prêt à employer la violence pour la retenir. En effet, le bruit de son prochain départ s’est à peine répandu dans Naples, que des flots de peuple se pressant dans tous les sens, portant des bannières et des armes de toute espèce, accourent sur la place du palais. Un courrier de cabinet, arrêté sur le môle au moment où il allait se rendre à bord du Vanguard, est la première victime de cette effervescence : il tombe percé de coups, et son cadavre est traîné par les pieds jusque sous les fenêtres du roi. Ferdinand IV paraît alors à son balcon, engage le peuple à se disperser et lui promet de ne point quitter Naples ; mais, le soir même, Nelson débarque secrètement dans l’arsenal ; les canots de l’escadre s’approchent du quai et se tiennent prêts à lui prêter main forte ; les canotiers n’ont point reçu d’armes à feu, car il faut qu’il faut qu’ils agissent sans bruit, si une collision devient inévitable ; les chaloupes portant