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leurs caronades s’assemblent à bord du Vanguard ; l’Alcmène n’attend qu’un signal pour couper ses câbles et appareiller. A huit heures et demie par une nuit orageuse et sombre, la famille royale, sous la conduite de Nelson, sort furtivement du palais et se dirige vers le môle ; à neuf heures et demie, elle est en sûreté sous le pavillon britannique ; le lendemain, un édit, affiché sur les murs de la ville, annonce au peuple consterné que le roi a désigné pour vicaire-général du royaume le prince Francesco Pignatelli, et qu’il se rend en Sicile pour revenir bientôt à Naples avec de puissans secours.

Un vent contraire retint pendant deux jours le Vanguard au mouillage Le 23 décembre à sept heures du soir, il mit enfin à la voile, suivi d’un vaisseau napolitain, le Samnite, et d’une vingtaine de bâtimens de transport. Le lendemain, une violente tempête, la plus violente qu’il eût jamais éprouvée, écrivait Nelson au comte de Saint-Vincent, assaillit cette escadre fugitive, et le plus jeune des princes napolitains, saisi d’un mal soudain et inexplicable, expira dans les bras de lady Hamilton. Quelques heures plus tard, le Vanguard était en vue de Palerme ; mais ce dernier coup avait accablé la reine. Elle voulut se dérober aux transports d’allégresse qui accueillirent l’arrivée de la famille royale en Sicile. Laissant le roi savourer ces hommages, elle descendit à terre quelques heures avant lui, et gagna secrètement son palais, le 26 décembre à cinq heures du matin, le cœur plein d’une morne douleur et de sombres désirs de vengeance.

Telle fut la déplorable issue de cette singulière prise d’amies. De tous côtés, a Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Florence, à Londres même, on blâma vivement l’imprudence de la cour de Naples, et une partie du blâme retomba sur ceux qui l’avaient poussée à cette brusque rupture. « Je n’avais jamais pensé, écrivait Nelson à cette poque, que les Napolitains fussent un peuple de guerriers ; mais pouvais-je prévoir qu’un royaume défendu par 50,000 soldats, tous jeunes et de belle apparence, serait envahi par 12,000 hommes, sans que cette conquête fût précédée de quelque chose qu’on pût appeler une bataille ? » On pouvait prévoir pourtant, sans être un grand prophète, que des bataillons de nouvelle levée tiendraient difficilement contre les vieilles bandes de la république. La manœuvre habituelle de Nelson, une imposante concentration de forces sur un des points faibles de l’ennemi, eût peut-être racheté ce désavantage. Mack, au contraire, avait disséminé ses troupes en détachemens qui se firent battre l’un après l’autre. Cependant, ni les fautes de Mack, ni l’inexpérience de son armée n’eussent amené cette rapide invasion du royaume, si les conseils d’Acton et des Anglais, si ses propres terreurs n’eussent entraîné le roi en Sicile. Ce qu’il y eut de plus funeste dans cette campagne, ce ne fut point un premier revers qui pouvait être facilement réparé : ce fut ce soudain désespoir qui, déclarant