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de l’état. Ainsi, par différens motifs, la supériorité politique aussi bien qu’intellectuelle du parti protestant se trouva solidement établie dans la confédération entière. Les grands monastères épargnés dans les cantons catholiques, et qui auraient pu devenir des foyers bienfaisans de culture scientifique et littéraire, tardèrent trop long-temps à tirer parti de leurs ressources. Wettingen entra fort tard dans la carrière que d’autres congrégations bénédictines parcouraient avec tant d’éclat, et Saint-Gall, après des siècles de ténèbres, ne se releva jamais jusqu’au niveau de son ancienne splendeur intellectuelle. Einsiedlen, Engelberg, Saint-Urbain, demeurèrent presque inutiles aux lettres ecclésiastiques ; l’abbaye seule de Disentis conserva dans la Rhétie catholique quelque ombre de vie littéraire à l’idiome roman.

Cependant des changemens politiques d’une haute portée s’accomplissaient dans l’intérieur de presque tous les états helvétiques. L’organisation du patriciat s’achevait dans les villes de Berne, Fribourg, Lucerne et Soleure ; des restrictions successivement apportées à l’exercice du droit de cité en matière de gouvernement avaient préparé le triomphe de l’intérêt aristocratique sur le système démocratique uniformément adopté pendant le moyen-âge ; des coups d’état hardis et heureux aboutirent à la création d’un livre d’or dans chacune des villes souveraines que nous venons de nommer. Il n’y eut plus dès-lors que les gentilshommes qui fussent admissibles aux conseils suprêmes et aux dignités de l’état. Soleure et Lucerne fermèrent de bonne heure le rôle de leurs patriciats, en sorte que l’extinction successive d’une partie des familles qui s’y trouvaient d’abord inscrites réduisit enfin à une véritable oligarchie les corps qui gouvernaient ces deux républiques. Berne et Fribourg donnèrent une base plus large à leurs aristocraties respectives ; toutefois la plupart des maisons considérables de l’Argovie et du pays de Vaud furent systématiquement laissées en dehors du patriciat bernois. A Zurich, à Bâle, à Schaffouse, à Genève, à Saint-Gall, une tendance analogue, mais moins exclusive, prévalut : la haute bourgeoisie demeura seule maîtresse du terrain politique ; les familles qui la composaient se perpétuèrent dans les conseils souverains. Néanmoins la campagne était, dans tous ces cantons, entièrement sujette ; les populations rurales n’avaient aucune part à la confection des lois, à la distribution des emplois. Il arriva même que les républiques dont la constitution demeurait strictement démocratique laissèrent une véritable noblesse se former dans leur sein. L’origine de celle-ci était honorable et légitime ; elle dérivait de faits éclatans, accomplis jadis pour la défense du pays, et d’un empressement héréditaire à le servir dans des fonctions gratuites. Sans privilèges légaux, sans existence politique reconnue, ce patriciat militaire fournissait, de génération en génération, des chefs aux régimens capitulés, des landammans aux petits