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pâle et toute tremblante. — Venez, docteur, venez, me dit-elle de sa douce voix ; je ne puis plus rester seule. Voyez comme il est tard ! il y a plus de deux heures qu’il devrait être ici, et il n’est pas encore rentré !

Je fus étonné de l’absence prolongée de M. Meredith ; mais, pour rassurer sa femme, je répondis tranquillement : — Que pouvons-nous savoir du temps nécessaire à ses affaires, une fois arrivé à la ville ? On l’aura fait attendre ; le notaire était absent peut-être. Il y aura eu des actes à rédiger, à signer…

— Ah ! docteur, je savais bien que vous me diriez quelques consolantes paroles. Je n’ai pas hésité à vous demander de venir ; j’avais besoin d’entendre quelqu’un me dire qu’il n’était pas sage de trembler ainsi. Que la journée a été longue, grand Dieu ! Docteur, est-ce qu’il y a des personnes qui peuvent vivre seules ? Est-ce qu’on ne meurt pas tout de suite, comme si on vous ôtait la moitié de l’air qu’il faut pour respirer ? Mais voilà huit heures qui sonnent !…-Huit heures sonnaient en effet. Il m’était difficile de comprendre pourquoi William n’était pas de retour. A tout hasard, je dis à Mme Meredith : — Madame, le soleil se couche à peine ; il fait jour encore, et la soirée est superbe. Venez respirer la bonne odeur de vos fleurs ; venez du côté de l’arrivée. Votre mari vous trouvera sur son chemin.

Elle s’appuya sur mon bras et marcha vers la barrière qui fermait le petit jardin. J’essayai d’attirer son attention sur les objets qui l’entouraient. Elle me répondit d’abord comme un enfant obéit ; mais je sentais que sa pensée n’était pas avec ses paroles. Son regard inquiet restait fixé sur la barrière verte, encore entr’ouverte comme au départ de William. Elle vint s’appuyer sur le treillage, puis elle me laissa parler, souriant de temps à autre pour me remercier ; car, à mesure que le temps passait, elle perdait le courage de me répondre. Ses yeux suivaient dans le ciel le coucher du soleil, et les teintes grises qui succédaient à l’éclat de ses rayons marquaient d’une manière certaine la marche du temps. Tout s’assombrit autour de nous ; le chemin qui, à travers le bois, nous avait jusqu’alors laissé voir ses blancs contours, disparut à nos yeux sous l’ombre des grands arbres, et l’horloge du village sonna neuf heures. Eva tressaillit ; moi-même je sentis chaque coup me frapper au cœur. J’avais pitié de ce que devait souffrir cette femme.

— Songez, madame, lui répondis-je (elle ne m’avait pas parlé, mais je répondais à l’inquiétude qui parlait sur tous ses traits), songez que M. Meredith ne peut revenir qu’au pas : les routes à travers les bois sont sans cesse coupées de rochers qui ne permettent pas d’avancer vite. — Je lui parlais ainsi parce qu’il fallait la rassurer, mais le fait est que je ne savais plus comment expliquer l’absence de William. Moi qui connaissais la distance, je savais bien que j’aurais été deux fois à la ville et en