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serais deux fois revenu depuis qu’il avait quitté sa demeure. La rosée du soir commençait à pénétrer nos vêtemens, et surtout la mousseline qui couvrait la jeune femme. Je repris son bras et l’entraînai vers la maison. Elle me suivit avec douceur. C’était un caractère faible, où tout était soumis, même la douleur. Elle marcha lentement, la tête baissée, les yeux fixés sur les traces laissées dans le sable par le galop du cheval de son mari. Mais qu’il était triste, bon Dieu ! de revenir ainsi à la nuit, encore sans William ! En vain nous prêtions l’oreille : la nature était dans ce grand silence que rien ne trouble à la campagne lorsque la nuit est venue. Comme tout sentiment d’inquiétude s’augmente alors ! La terre paraît si triste au milieu de l’obscurité, qu’elle semble nous rappeler que tout s’obscurcit aussi dans la vie. C’était la vue de cette jeune femme qui me faisait faire ces réflexions ; à moi seul je n’eusse jamais songé à tout cela.

Nous rentrâmes. Eva s’assit sur le canapé et resta immobile, les mains jointes sur ses genoux, la tête baissée sur sa poitrine. On avait placé une lampe sur la cheminée, et la lumière tombait en plein sur son visage. Jamais je n’en oublierai la douloureuse expression : elle était pâle, tout-à-fait pâle ; son front et ses joues étaient de la même teinte ; l’humidité du soir avait allongé les boucles de ses cheveux, qui tombaient en désordre sur ses épaules. Des larmes roulaient sous ses paupières, et le tremblement de ses lèvres décolorées laissait deviner l’effort qu’elle faisait pour empêcher ses pleurs de couler. Elle était si jeune, que cette douce figure semblait celle d’un enfant auquel on défend de pleurer.

Je commençais à me troubler et à ne plus savoir quelle contenance garder vis-à-vis de Mme Meredith. Je me rappelai tout à coup (c’était bien une pensée de médecin) qu’au milieu de ses inquiétudes, Eva n’avait rien pris depuis le matin, et son état rendait imprudent de prolonger cette privation de toute nourriture. Au premier mot que je prononçai à ce sujet, elle leva vers moi ses yeux avec une expression de reproche, et cette fois le mouvement de ses paupières fit couler deux larmes sur ses joues.

— Pour votre enfant, madame ! lui dis-je.

— Ah ! vous avez raison ! murmura-t-elle. Et elle se leva pour se rendre à la salle à manger ; mais dans la salle à manger il y avait deux couverts mis à leur petite table, et cela en ce moment me parut si triste, que je restai sans dire un mot, sans faire un mouvement. L’inquiétude qui me gagnait me rendait tout-à-fait gauche ; je n’étais pas assez habile pour dire des choses que je ne pensais pas. Le silence se prolongeait. Et cependant, me disais-je tout bas, je suis là pour la consoler ; elle m’a fait appeler à cette intention. Il y a sans doute mille raisons pour expliquer ce retard ; cherchons-en une… Je cherchais, je