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que toutes les larmes versées sur ce berceau glaçaient cette petite ame. J’aurais voulu déjà voir les bras caressans de William entourer le cou de sa mère, j’aurais voulu qu’il cherchât à rendre les baisers qu’on lui prodiguait. Mais à quoi vais-je songer ? me disais-je ; est-ce qu’il faut demander à cette petite créature qui n’a pas fini une année de comprendre qu’elle est dans ce monde pour aimer et consoler cette femme !

C’était, je vous assure, mesdames, un spectacle qui remuait le cœur, que de voir cette mère jeune, pâle, affaiblie, ayant renoncé à tout avenir pour elle-même, reprendre à la vie à cause d’un tout petit enfant qui alors ne pouvait pas même dire : « Merci, ma mère ! » Quelle merveille que notre cœur ! que de peu de chose il sait faire beaucoup ! Donnez-lui un grain de sable, il élèvera une montagne ; qu’à son dernier battement on lui montre encore un atome à aimer, et vite il recommencera à battre ; il ne s’arrête pour toujours que lorsqu’il ne reste plus autour de lui que le vide, et que même l’ombre de ce qui lui fut cher a disparu de la terre !

Eva mettait l’enfant sur un tapis, à ses pieds, puis, en le regardant jouer, elle me disait : « Monsieur Barnabé, quand mon fils sera grand, je veux qu’il soit distingué ; instruit, je lui choisirai une noble carrière ; je le suivrai partout, sur mer s’il est marin, aux Indes s’il est à l’armée ; je lui veux de la gloire, des honneurs, et je m’appuierai sur son bras, je dirai avec orgueil : Je suis sa mère ! N’est-ce pas, monsieur Barnabé, il me laissera le suivre ? Une pauvre femme qui n’a besoin que d’un peu de silence et de solitude pour pleurer ne gêne personne, n’est-il pas vrai ? » Et puis, nous discutions les différentes carrières à choisir ; nous mettions à l’instant vingt années sur la tête de cet enfant, oubliant tous les deux que ces vingt années nous feraient vieux et étaient notre petite part des beaux jours de la vie ! Mais bah ! nous ne pensions guère à nous ; nous ne songions à être jeunes et heureux que quand il y aurait pour lui jeunesse et bonheur,

Je ne pouvais, en écoutant ces beaux rêves, m’empêcher de regarder avec effroi cet enfant de qui dépendait si bien l’existence d’une autre. Une vague inquiétude me préoccupait malgré moi ; mais je me disais : « Elle a assez pleuré, le Dieu qu’elle prie lui doit un peu de bonheur. »

Nous en étions là, lorsque je reçus une lettre de mon oncle, le seul parent qui me restât. Mon oncle, attaché à la faculté de Montpellier, m’appelait près de lui, pour achever dans cette ville savante de m’initier aux secrets de mon art. Cette lettre, rédigée comme une prière, était un ordre : il fallait partir. Un matin, le cœur bien gros en songeant à l’isolement dans lequel je laissais la veuve et l’orphelin, je me rendis à la maison blanche pour prendre congé d’Eva Meredith. Lorsque je lui dis que j’allais la quitter pour long-temps, je ne sais si un peu de