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sur un précipice et enfermait une rampe raide formée de cendres et de scories, tronquée brusquement par les bords du gouffre où s’ouvre le cratère actuel. Celui-ci renferme lui-même six bouches bien distinctes. Deux de ces cratères secondaires vomissent cette fumée imprégnée d’acide chlorhydrique et d’acide sulfureux qui charge en tout temps le sommet de la montagne. Du troisième, placé à droite, sort également une vapeur épaisse et blanchâtre, au milieu de laquelle brillent comme des étincelles des pierres rouges de feu qui, s’élevant et retombant sans cesse, produisent un bruit de ressac des plus étranges et font naître l’idée d’un atelier de démons. A gauche se trouvent les trois bouches à éruptions intermittentes. Deux d’entre elles appartiennent évidemment au même foyer ; elles s’allument et s’éteignent toujours à la fois. La troisième, dont les éruptions sont beaucoup moins fréquentes, est la plus rapprochée du spectateur. C’est elle qui fait entendre les détonations les plus formidables et qui élève le plus haut sa gerbe de cendres et de roches embrasées.

Nous étions arrivés en plein jour et avions pu contempler à notre aise ces rochers de lave, ces arêtes, ces talus de cendres, toute cette scène étrange dont le noir uniforme était à peine accidenté çà et là par quelques masses de scories d’un rouge sombre ; mais le soleil s’était couché, et le court crépuscule des régions méridionales faisait rapidement place à la nuit. A mesure que la lumière s’éteignait dans les airs, elle semblait s’aviver au fond du gouffre : la fumée rougissait et prenait une teinte de plus en plus ardente, le nombre des étincelles augmentait, et à ces lueurs concentrées dans le cratère même nous pouvions bien mieux suivre de l’œil les phases des éruptions. Celles des deux petites bouches se répétaient toutes les sept ou huit minutes. Dix à douze minutes séparaient les explosions de la grande bouche. Le phénomène se passait d’ailleurs toujours de la même manière. Au moment où le volcan allait entrer en action, on voyait la fumée sortant des soupiraux de droite passer rapidement au rouge vif ; des détonations de plus en plus pressées se faisaient entendre et précédaient le jet des matières embrasées. De l’une des deux bouches sœurs, celles-ci sortaient en masses divergentes sans presque aucun mélange de fumée. De l’autre, elles s’élançaient comme entraînées par un courant de vapeurs violacées qui s’échappait en sifflant. Enfin le cratère principal lançait jusqu’à notre niveau une gerbe largement ouverte de roches et de laves incandescentes qui retombaient avec fracas, partie dans la mer et partie dans le gouffre d’où elles étaient sorties, tandis que le vent chassait jusqu’à nous ce sable noir et fin qu’on appelle les cendres.

Depuis long-temps la nuit était close. Les guides nous pressaient de descendre ; il fallut se rendre à leurs instances et songer à la retraite.