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bien payé, bien vêtu et bien nourri. Aussi, lorsqu’en dépit de tant d’attentions, les marins anglais cherchent à fuir cette existence claustrale et se laissent séduire par les recruteurs espagnols, son indignation ne trouve point de termes assez méprisans pour qualifier une pareille conduite. « Quand je vois, s’écrie-t-il, des matelots anglais se dégrader au point de quitter, en temps de guerre, le service de leur pays pour entrer au service de l’Espagne, abandonner une solde d’un shilling par jour, des provisions abondantes et de premier choix, tout le bien-être, en un mot, que leurs chefs peuvent leur procurer, pour aller chercher une mauvaise paie de deux pence par jour, du pain noir, des fèves de rebut (horse-beans) et de l’huile puante ; quand je vois des matelots anglais devenir soldats espagnols, je rougis pour eux. S’il est une chose que les étrangers admirent chez nous, c’est assurément notre amour pour notre pays. Ceux qui désertent son service oseront-ils se vanter de l’aimer ? »

Ces lettres familières, si remplies d’enseignemens, empruntent d’ailleurs à la date qu’elles portent un nouvel intérêt. Pressé entre deux escadres, dont l’une est déjà armée à Toulon et dont l’autre s’arme à Carthagène, Nelson ne voit dans l’union de l’Espagne et de la France qu’une guerre riche et lucrative substituée à une pauvre guerre, à une guerre sans profits et sans parts de prises. Cette alliance redoutable ne se présente à son esprit que comme une chance de plus d’arrondir et d’embellir sa propriété de Merton, de mettre aussi de côté un peu de cet argent dont « il ne dépense guère pour lui-même, bien qu’il aime assez à le répandre autour de lui ; » mais si les pleurésies, si les affections de poitrine, « si fréquentes dans la Méditerranée, » viennent affliger son escadre, comment réparera-t-il ses pertes ? Voilà ce qu’il faut craindre plus qu’une flotte espagnole. L’Angleterre n’a pas de matelots à envoyer aux vaisseaux de la Méditerranée. On autorise bien Nelson à recruter des Italiens, mais les Italiens désertent dès qu’ils sentent l’air natal ; des Français, il ne veut de Français sous aucun prétexte ; de bons Allemands (good Germans), les Allemands sont rares. D’ailleurs, ces larges doctrines en fait de recrutement, pratiquées sans hésitation par l’amirauté britannique, ne trouvent que dans de longues croisières un correctif indispensable. On ne fait point en quelques jours d’un laboureur un intrépide gabier. A Nelson lui-même, il n’a pas fallu moins de vingt mois de mer pour former complètement ses équipages, composés, dans le principe, des élémens les plus hétérogènes ; mais que ne peut, sous un chef actif, le salutaire et quotidien labeur d’une navigation difficile ? Il n’est point jusqu’à un général noir, le général Joseph Chrestien, qui, passager ou plutôt prisonnier sur la frégate française l’Embuscade, que le Victory a capturée, ne soit devenu entre les mains de Nelson et à cette rude école un « parfait matelot. » Le secret de faire une bonne