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Deux trois-ponts espagnols sont atteints au milieu de la nuit par un seul vaisseau anglais. Les équipages perdent la tête, le feu éclate dans les batteries, et les deux vaisseaux, après s’être canonnés mutuellement, font bientôt explosion. 2,000 hommes sont victimes de ce double suicide. Quant aux vaisseaux français, à peine remis du combat d’Algésiras, ils repoussent victorieusement l’ennemi et entrent à Cadix, le lendemain, couverts de gloire, mais consternés d’un succès que de fidèles et généreux alliés ont payé d’un si grand sacrifice.

Tels étaient les souvenirs qui agitaient Villeneuve à la vue de l’escadre de Cadix ; si quelque chose eût pu diminuer l’impression fâcheuse qu’il en éprouva, c’eût été, sans contredit, l’empressement avec lequel l’amiral Gravina vint se ranger sous son pavillon et la loyauté empreinte dans toute la personne et dans tous les actes de ce brave officier. Dès que l’Hortense, envoyée en avant par l’amiral Villeneuve, eut signalé l’approche de la flotte française, le capitaine du vaisseau l’Aigle, prêt à appareiller lui-même, avait remis à l’amiral espagnol les dépêches de l’amiral Decrès et sept paquets cachetés contenant l’indication du rendez-vous général de l’escadre en cas de séparation. Gravina fit distribuer ces paquets à ses capitaines, avec défense expresse de les ouvrir avant d’être au large. Embarquant alors à la hâte 1,600 hommes de troupes, il fit signal à ses vaisseaux de filer leur câble par le bout et alla mouiller devant Rota au milieu de l’escadre française. A deux heures du matin, la flotte combinée profita d’une légère brise de terre pour mettre sous voiles. Le San-Rafaël avait touché en sortant du port ; les autres vaisseaux, qui avaient déjà laissé un câble à Cadix, voulurent lever leur ancre et perdirent beaucoup de temps dans cette opération. Au point du jour, ils se trouvèrent séparés de l’escadre. L’Argonauta, de 80, et l’America, de 64, rallièrent seuls l’amiral Villeneuve, qui compta alors sous ses ordres, outre 6 frégates, 1 corvette et 3 bricks, 12 vaisseaux français et 2 vaisseaux espagnols. Le San-Rafaël, de 80 canons, le Firme, le Terrible, de 74, l’España, de 64, et la frégate la Santa-Madalena furent laissés en arrière. Les capitaines de ces bâtimens décachetèrent les paquets qui leur avaient été remis par l’amiral Gravina, et firent route pour la Martinique.

Nelson cependant luttait encore contre les vents d’ouest. Il n’arriva à l’entrée du détroit que le 30 avril. Là il fallut s’arrêter, car le violent courant qui descend constamment de l’Océan dans la Méditerranée ne permet point de franchir ce passage avec des vents contraires. « Ma bonne fortune, écrivait-il au capitaine Ball, semble m’avoir abandonné. Le vent ne veut souffler ni de l’arrière ni du travers : il est droit debout ! toujours droit debout ! » Mouillé dans la baie de Tétouan, plus agité que les Grecs en Aulide, il épiait avec anxiété la première brise favorable et cherchait à tromper son ardeur par mille plans de campagne.