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« J’ai été rudement éprouvé, écrivait-il à lord Addington, et jusqu’ici l’ennemi a été merveilleusement heureux ; mais la chance peut tourner. Patience et persévérance peuvent beaucoup. » Enfin le 7 mai, à six heures du soir, il donna dans le détroit de Gibraltar ; il ignorait encore la destination de la flotte combinée et ne la connut d’une façon certaine que par un avis inespéré. Un officier portugais, d’origine écossaise, qui avait fait partie de l’escadre du marquis de Niza et avait servi pendant les événemens de Naples sous ses ordres, le contre-amiral Donald Campbell, le rencontra à la mer : il avait recueilli les bruits qui couraient à Cadix, et apprit à Nelson que la flotte de Villeneuve s’était dirigée sur les Antilles. Nelson maudit davantage encore les vents contraires qui l’avaient retenu si long-temps dans la Méditerranée : cette flotte qui allait porter la terreur et la désolation dans les îles anglaises, c’était celle que l’amirauté avait commise à sa surveillance, celle qu’il couvait des yeux depuis deux ans et appelait si présomptueusement sa flotte. A tout risque, il résolut de la suivre au-delà du tropique.

Tout disposé qu’il pouvait être à engager sa responsabilité personnelle dans cette poursuite, Nelson voulut cependant, avant de quitter les côtes d’Europe, assurer le passage des 5,000 hommes de troupes que le contre-amiral Knight amenait d’Angleterre. Le 10 mai, il vint mouiller dans la baie de Lagos avec son escadre, y trouva quelques transports abandonnés par sir John Orde au moment où ce dernier s’était retiré devant Villeneuve, et embarqua dans une seule nuit plus d’un mois de vivres à bord de tous ses vaisseaux. Le lendemain, il appareillait de nouveau et se portait à la hauteur du cap Saint-Vincent. Le 12 mai, dans l’après-midi, le jour même où Villeneuve arrivait en vue de la Martinique, il ralliait l’important convoi qu’avait escorté jusque-là le contre-amiral Knight avec deux vaisseaux, le Queen, de 98, et le Dragon, de 74. Ce convoi avait donc échappé aux atteintes qu’appréhendait Nelson ; mais, destiné à entrer dans la Méditerranée, il pouvait redouter encore la rencontre de l’amiral Salcedo. A la veille de se lancer avec 11 vaisseaux à la poursuite d’une flotte ennemie de 18 vaisseaux de ligne, Nelson aima mieux s’affaiblir que laisser un amiral anglais exposé à combattre, avec des forces insuffisantes, l’escadre de Carthagène. Un de ses vaisseaux, dont le doublage en cuivre n’avait pas été changé depuis plus de six ans, le Royal Sovereign, vaisseau à trois-ponts, l’eût retardé par l’infériorité de sa marche dans la traversée qu’il allait entreprendre. Il ne craignit point de se priver de ses services et l’adjoignit à la division qu’il venait de rallier. Quelle que fût d’ailleurs cette témérité dont il aimait à faire preuve en présence de l’ennemi, Nelson ne songeait cette fois à attaquer la flotte combinée qu’après avoir joint le contre-amiral Cochrane. Il s’attendait à trouver cet officier-général à la Barbade avec