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faire davantage. Il faut mettre notre confiance dans le souverain arbitre des événemens de ce monde et dans la justice de notre cause. » Le capitaine Blackwood, ému des dangers que Nelson allait courir, frappé du pressentiment sinistre qui semblait l’agiter, osa le presser alors, au nom de l’intérêt commun, de porter son pavillon sur l’Euryalus, ou de laisser du moins à un autre vaisseau le poste périlleux qu’il avait choisi pour le Victory. « Non, Blackwood, répondit l’amiral, en pareille occasion, c’est au chef de donner l’exemple. » Feignant de céder aux sollicitations dont on l’entourait, il permit cependant qu’on transmît au Téméraire, au Neptune et au Leviathan l’ordre de prendre la tête de la ligne ; mais bientôt, exigeant qu’on ajoutât de nouvelles voiles à celles que portait déjà le Victory, il rendit l’exécution de cet ordre impossible.

Au moment où cette dernière manœuvre trahit l’impatience, toujours croissante, du commandant en chef, aucun signe extérieur n’annonçait encore qu’à bord du Royal Sovereign on songeât à l’imiter. Ce vaisseau, dont la marche supérieure faisait en ce moment l’envie de Nelson, attendait, sous une voilure réduite, les vaisseaux qu’il avait devancés. Malgré cette prudence apparente, Collingwood avait pris ses mesures pour conserver l’honneur de nous porter les premiers coups. A peine le Belleisle et le Mars se furent-ils approchés, que sur un geste de Collingwood, geste impatiemment attendu, le Royal Sovereign déploya ses ailes à son tour, et, laissant bien loin derrière lui le reste de la flotte anglaise, sembla s’élancer seul vers l’armée combinée.


X.

Il était midi. Les Anglais arborèrent le pavillon de Saint-George, le yacht à queue blanche, et aux cris sept fois répétés de vive l’empereur ! l’étendard tricolore s’éleva sur la poupe de chaque vaisseau français. Déployant en même temps la bannière des deux Castilles, les Espagnols suspendirent une longue croix de bois au-dessous de leur pavillon. Villeneuve, en ce moment, donna le signal du combat. Un coup de canon, dirigé contre le Royal Sovereign, partit immédiatement du vaisseau le Fougueux. Il fut suivi bientôt d’un feu roulant, auquel le vaisseau anglais n’essaya point de répondre. Le Royal Sovereign se trouvait alors à près d’un mille en avant du Belleisle, à deux milles environ et presque par le travers du Victory. Encore intact au milieu de ce feu mal dirigé, il s’avançait vers la Santa-Anna, sans dévier de sa route, silencieux, impassible et comme protégé par un charme secret. L’équipage, étendu à plat-pont et couché dans les batteries, n’offrait aucune prise au petit nombre de boulets qui frappaient la coque du vaisseau, et les projectiles qui passaient en grondant à travers la mâture n’avaient encore atteint que quelques cordages sans importance. « Rotheram (dit Collingwood