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SCÈNES DE LA VIE MEXICAINE.

flots d’une pluie torrentielle, nous avions aperçu, à travers un voile de brouillards, les murs blancs et les tuiles rouges de cette venta isolée. M. D… prit aussitôt les devans pour nous assurer dans ce pauvre gîte un souper et un abri. — Un mot en passant sur les formalités d’introduction dans les posadas du Mexique. On pénètre d’abord sans obstacle dans la grande cour carrée de l’hôtellerie, sur laquelle s’ouvrent, au rez-de-chaussée, les chambres destinées aux voyageurs. La plupart du temps, le maître de l’hôtellerie, le huesped, absent ou occupé au fond d’une écurie lointaine à régulariser sur un papier sale sa comptabilité de fourrages, n’a garde de répondre à la voix qui l’appelle. L’arrivant n’a rien de mieux à faire alors qu’à pousser à cheval une reconnaissance dans toutes les chambres, dont les portes restent ouvertes, et il prend celle qui lui convient. Son choix est bientôt fait, car l’ameublement est dans toutes exactement le même : un banc et une table de bois, un lit en maçonnerie, voilà tout. Le prix ne varie pas non plus ; il est fixé à un réal (60 centimes) par jour. Vous dessellez ensuite votre monture en attendant le huesped, qui arrive enfin, et qui, vous trouvant installé, murmure de n’avoir pas été prévenu ; après quoi, vous vous occupez de la nourriture de votre cheval, puis, le cas échéant, vous songez à vous-même et vous demandez à souper. Là encore de nouvelles tribulations vous attendent, car, pour peu que l’hôte soit de mauvaise humeur, ou que vos façons d’agir lui aient déplu, vous courez le risque de n’avoir que des refus, ou, à grand’peine, le rebut des mets préparés. Ce sans-façon à l’égard des voyageurs n’est pas poussé, il faut le dire, au-delà de certaines limites dans les villes où les posadas sont nombreuses ; mais, dans les ventas protégées par leur isolement contre toute concurrence, il se transforme en un insupportable arbitraire.

Au moment où je venais d’obtenir, à force d’instances et en bravant mille rebuffades, un médiocre souper, un mouvement inusité se fit dans la venta. Une lourde berline de voyage, attelée de huit mules, était entrée dans la cour. La caisse percée à jour, le train à moitié brisé, paraissaient avoir servi de cible aux carabines des routiers. Un cavalier, dont le cheval perdait des flots de sang, précédait la massive voiture. Un voyageur presque mourant fut à grand’peine tiré de l’intérieur, soigneusement fermé. Le huesped désœuvré, qui se promenait dans la cour en sifflant, s’en alla recevoir les arrivans. Comme la nuit tombait, les portes de la venta furent fermées par une chaîne de fer, et je pus apprendre du cavalier qui accompagnait la berline le mot de cette lugubre énigme. Son maître, le voyageur moribond qu’on venait de transporter dans une chambre voisine, était parti de Mexico pour aller établir à San-Juan une banque de jeu. Trente mille piastres en argent et en or remplissaient les coffres de la voiture. À quelque lieues de l’hôtellerie, des voleurs les avaient attaqués, blessés et dépouillés.