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À en croire le narrateur, des joueurs habitués de la banque tenue par son maître à Mexico, informés du but de leur voyage, les avaient suivis de venta en venta, de meson en meson, et livrés aux routiers qui les avaient débanqués sur le grand chemin. — Je vous confie ce récit sous le sceau du secret, ajouta le cavalier, car un malheur de plus peut nous frapper, si la nouvelle de notre désastre parvenait aux oreilles de la justice ; l’intervention de l’alcade achèverait de nous ruiner.

Cette crainte ne me surprit nullement, tant est grand l’effroi que la justice mexicaine inspire à ceux qu’elle a la prétention de protéger. Je promis donc le silence au cavalier, qui s’éloigna pour aller soigner son maître. M. D…, présent à cet entretien, avait peine à contenir son indignation. Fort de l’expérience que m’avait donnée un long séjour dans la république, j’essayai en vain de lui faire comprendre que, le gouvernement fédéral ne rétribuant point les juges, ceux-ci étaient bien forcés de vivre aux dépens des plaideurs, qui, de leur côté, n’avaient que fort peu de goût pour cette intervention intéressée. Ce n’était pas, au reste, la seule preuve que M. D… devait me donner de sa fâcheuse ignorance en matière de jurisprudence mexicaine. Cette rencontre d’hôtellerie n’était que l’avant-coureur de scènes moins tragiques, dans lesquelles M. D… allait se trouver, non plus témoin, mais acteur involontaire.

La villa[1] de San-Juan de los Lagos, où nous arrivâmes après dix jours de route, est bâtie au fond d’un bassin circulaire si profond, qu’à peine aperçoit-on de loin le sommet des deux tours de sa cathédrale. Quant à la villa, on ne la devine que du sommet du talus escarpé qui l’entoure de tous côtés. La population de San-Juan n’est en réalité que de quelques milliers d’âmes ; mais chaque année, au mois de décembre, la foire qui s’y tient, foire célèbre dans toute la république, y attire près de trente mille étrangers qui s’y logent comme ils peuvent. La plupart campent sur les hauteurs qui dominent la ville, car, dans l’intérieur, les boutiques, les auberges, les baraques même, sont louées à un prix exorbitant pendant les quinze jours que dure la foire.

L’origine de cette foire fut d’abord toute religieuse. Notre-Dame-de-Saint-Jean-des-Lacs était en grande renommée pour les miracles de toute espèce qu’elle opérait, soit pour la guérison des infirmités les plus incurables, soit pour l’apaisement des consciences les plus désespérées. Un pèlerinage à San-Juan, accompagné de riches offrandes, ne suffisait pas, dans le dernier cas, pour obtenir le résultat désiré. Le pénitent devait en outre descendre à genoux la côte rapide qui mène à la place, traverser celle-ci, monter les douze degrés de la cathédrale ; là, il attendait sur le parvis, les genoux en sang, que le prêtre reçût l’offrande et

  1. On appelle villa tout ville qui n’a pas de congrès, auquel cas elle a droit au nom de ciudad (cité).