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guerre continentale. La douleur d’être obligé de s’arracher de Boulogne pour combattre une troisième coalition avait été vive, mais courte ; elle avait bientôt cédé la place à d’autres pensées. Napoléon avait saisi le plan des coalisés qui préparaient contre lui quatre agressions : la première au nord par la Poméranie, la seconde à l’est par la vallée du Danube, la troisième en Lombardie, la quatrième au midi de l’Italie. C’était dans la vallée du Danube que la coalition devait tenter son plus grand effort par la jonction des Autrichiens et des Russes ; c’est là aussi que Napoléon résolut de porter le gros de ses forces ; il voulait, comme le dit son historien, « faire tomber toutes les attaques secondaires par la manière dont il repousserait la principale. » Frapper les Autrichiens avant l’arrivée des Russes, se jeter ensuite sur ceux-ci, qui n’auraient plus pour soutien que les réserves de l’Autriche au lieu de sa principale armée, tel fut le projet de l’empereur. Cette donnée est au fond très simple ; seulement, pour l’accomplir, il fallait des prodiges de sagacité et de promptitude dans l’exécution. Ces prodiges, ces combinaisons pleines à la fois de finesse et de bon sens sont racontées par M. Thiers avec une admirable lucidité, qui ne peut être que le résultat de la plus profonde étude du sujet. Si l’historien de Napoléon n’a rien épargné, ni méditations, ni veilles, ni recherches, ni explorations de tout genre, pour rendre accessible à tous l’intelligence des opérations militaires de l’empereur, il est bien récompensé de ses travaux, car son but est atteint. Après avoir lu ses pages si claires sur les évolutions et les événemens qui ont amené la reddition d’Ulm, on a gravé dans l’esprit le merveilleux ensemble avec lequel les forces françaises vinrent des points les plus opposés, du Hanovre, de la Hollande, de Boulogne, converger à la vallée du Danube, le secret qui fut gardé le plus long-temps possible sur toutes ces marches, l’immobilité du général Mack dans Ulm, qui faisait précisément tout ce qu’avait espéré, tout ce que désirait Napoléon, les demi-mesures que prit le général autrichien après avoir reconnu qu’il était enveloppé de tous côtés par l’armée française, demi-mesures suivies de la capitulation célèbre par laquelle vingt-sept mille hommes jetèrent leurs armes aux pieds de Napoléon. Cependant les lieutenans de l’empereur avaient, dans différens combats, fait trente mille prisonniers aux Autrichiens, de manière qu’en vingt jours une armée de quatre-vingt mille hommes se trouva détruite. L’armée française n’avait que quinze cents hommes hors de combat. Napoléon put dire dans une proclamation à la grande armée que cela était sans exemple dans l’histoire des nations.

Il y a plus de poésie dans les faits que dans les fictions. Au moment où nos soldats étonnaient l’Europe, Trafalgar projetait sur un si beau succès une ombre triste et sanglante. Ce contraste, cette catastrophe qui anéantit pour long-temps notre puissance maritime, sont exposés