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par M. Thiers avec une impartialité qui n’ôte rien au pittoresque du récit. Dans les circonstances où l’amiral Villeneuve était placé, tant par la force des choses que par ses propres fautes, sa défaite était inévitable ; c’est ce qu’explique l’historien, qui termine sa démonstration par ces remarquables paroles : « Tout le monde se préparait sa part de tort dans un grand désastre, Napoléon celle de la colère, le ministre Decrès celle des réticences, et Villeneuve celle du désespoir. » L’historien constate aussi sans détour la supériorité maritime des Anglais, qui, comme il le dit, avaient opéré sur mer une révolution assez semblable à celle que Napoléon venait d’opérer sur terre, et cette équité ne fait que mieux ressortir l’intrépidité personnelle de nos marins. Les parties les plus remarquables de ce récit sont la mort de Nelson, le jugement de l’historien sur le caractère de cette célèbre journée et sur la conduite de Napoléon quand il eut appris ce désastre. Ici l’injustice de l’empereur n’échappe pas à la censure de l’historien.

Mais revenons sur le continent, sur le théâtre où Napoléon se préparait à réaliser la seconde partie de son plan, la défaite de l’armée russe et des réserves autrichiennes. La guerre à tous ses degrés est un bel emploi de la force humaine ; nous la voyons dans le soldat sous la physionomie de l’obéissance à laquelle on demande tantôt une résignation sans bornes, tantôt des prodiges de valeur. L’officier qui va au feu comme le simple soldat a en même temps une part de direction et de responsabilité ; dans le commandant supérieur qui a sous ses ordres plusieurs corps, la responsabilité s’agrandit, et l’intelligence doit être égale au courage ; enfin, pour le général en chef qui se sent l’ame de toute une multitude armée attendant de lui son salut ou sa perte, la guerre s élève à toute sa grandeur. Que sera-ce donc quand le général en chef sera en même temps le souverain d’un puissant empire dont il aura dans la main toutes les ressources et tous les intérêts ? Telle était la position sans égale de Napoléon, que M. Thiers, au commencement de ce sixième volume, a caractérisé avec bonheur par ces paroles : « Pour la première fois Napoléon était libre, libre comme l’avaient été César et Alexandre. » Au moment où nous en sommes de l’histoire de l’empereur, il faut reconnaître qu’il s’est admirablement servi de cette liberté qui est toujours un effrayant fardeau, même pour un génie de premier ordre. Il a tout ensemble de l’audace, de la sagesse, de l’impétuosité, de la ruse. Par un heureux mélange d’instinct et de réflexion, il devine les plans de l’ennemi. C’est parce qu’il connaît à fond les préjugés militaires des généraux autrichiens et du conseil aulique qu’il a pu pressentir la position que prendrait Mack dans la vallée du Danube. En face de l’armée austro-russe, Napoléon a peut-être montré plus encore de pénétration et de finesse ; il sut exciter chez elle une présomption folle en, affectant une attitude prudente, presque timide. Quand il s’établit entre