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que d’entonner la romance écrite jadis pour exprimer la douloureuse angoisse du père de Zelmire au fond de son cachet. La complainte du pauvre captif devenant tout à coup la chanson héroïque du libérateur, vit-on jamais plus aimable contraste ? Qu’on dise ensuite que la musique n’est point susceptible d’exprimer à la fois les deux sentimens qui se ressemblent le moins. — Puisque nous venons de nommer la Zelmira, n’ayons garde d’omettre le célèbre trio transformé cri un duo pour Mme Stoltz et M. Barroilhet, et tellement défiguré, que, n’étaient certains passages qui trahissent l’origine et la race, on croirait à une intercalation due à la plume de M. Niedermeyer. Essayez en effet de distinguer, à travers les éclats de voix que pousse M. Barroilhet, à travers ces cris de bravoure, cette admirable phrase de la partition primitive, ce chant si onctueux, si profondément empreint de tendresse et de pathétique. J’appuierai aussi sur la pitoyable manière dont une exécution inintelligente paraît se complaire à travestir le quatuor de Bianca e Faliero, l’un des plus beaux morceaux d’ensemble que Rossini ait composés. Mme Stoltz, qui commence la phrase de l’adagio, laquelle doit être répétée en imitation par le contralto, le ténor et la basse, Mme Stoltz a eu la malheureuse idée de varier le texte à sa guise ; soit le mauvais exemple, soit une incurable manie de vouloir toujours enchérir sur le compositeur, les autres en font autant, et de la sorte l’intention formelle de Rossini dans ce morceau se trouve entièrement faussée. Il y a cependant des vérités tellement élémentaires, que le simple bon sens devrait suffire à vous les enseigner, et nous ne concevons guère que des chanteurs appelés à tenir le premier rang sur la scène de l’Opéra puissent ignorer que, dans un morceau traité en imitation, porter la plus légère atteinte aux traits écrits par le compositeur, c’est attaquer l’édifice par sa base et tout compromettre. Un seul des exécutans de ce quatuor de Bianca e Faliero chante la note de Rossini, c’est Mlle Nau. Sans exceller dans le genre italien, Mlle Nau, rendons-lui cette justice, mérite qu’on la distingue ici de tout ce qui entoure. Bien que sa voix manque d’éclat et soit d’assez chétive consistance, on ne peut s’empêcher de louer, chez cette cantatrice, une remarquable netteté de diction, un talent de vocalisation qui, mieux doué du côté de l’organe, se fût élevé peut-être aux véritables effets de l’art des Sontag et des Persiani. Après avoir justement amnistié Mlle Nau pour sa fidélité à chanter le texte de Rossini, comment ne pas se montrer sévère envers Mme Stoltz, qui, du commencement à la fin de ce triste chef-d’œuvre, semble prendre à tâche de fouler aux pieds toutes les traditions d’une musique consacrée par les plus illustres interprètes, et qui, de la Pisaroni à la Pasta, à la Malibran, de la Camporesi à la Sontag, occupa tour à tour les plus nobles, les plus glorieuses émulations ? Et d’abord, que prétend Mme Stoltz ? La cantatrice de l’Académie royale de Musique est-elle soprano ou contralto ? Faut-il lui reconnaître le domaine de la Pisaroni ? Faut-il la proclamer souveraine de l’empire des Sontag et des Persiani ? ou bien faut-il dire, en caressant l’un des plus chers caprices de son ambition et de son amour-propre, qu’elle règne également sur l’un et l’autre hémisphère du monde de la voix ? Mais quand cela serait, lors même que de pareilles prétentions mériteraient qu’on en tint compte, comment s’expliquer autrement que par un gaspillage d’enfant gâté cette bizarre fantaisie d’amalgamer ensemble pêle-mêle les morceaux les plus caractéristiques des deux emplois, et de chanter à tour de rôle dans la même soirée, tantôt la partie de Malcolm, tantôt celle d’Elena ? La Malibran,