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et se démasquer. La santé de sir Miles, de plus en plus vacillante, rend une crise inévitable et prochaine. Les grands coups ne peuvent plus se différer, et, puisque Dalibard désespère de rompre à meilleur compte les liens qui unissent à un autre l’objet de son amour obstiné, il se décide à consommer la ruine de Lucretia. Le secret de la correspondance qu’elle a nouée avec Mainwaring, depuis que ce dernier a quitté le château, a été surpris par Gabriel-Honoré, sans cesse aux aguets. Dalibard est ainsi devenu maître d’un billet où la passion éclate, où l’amante effrénée laisse voir sans déguisement tout ce qu’elle craint, tout ce qu’elle espère. Que ces lignes brûlantes passent sous les yeux de sir Miles, et d’un seul coup toute l’affection qu’il porte à Lucretia sera détruite. Fiez-vous-en à Dalibard, — menacé dans cette lettre même, — pour que le hasard, un hasard préparé de longue main, la fasse tomber aux mains du mourant, dont elle doit dissiper les dernières illusions et changer les dernières volontés.

Lucretia, victime de cette machination ténébreuse accomplie par Dalibard et son fils, ne peut pas même soupçonner la part qu’ils y ont prise. Brusquement exilée par son oncle, chassée de son cœur aussi bien que de sa maison, privée du splendide héritage qui il lui destinait, il lui faut encore, tant la trame a été bien ourdie, remercier ces deux misérables, qui semblent avoir amorti, autant qu’il était en eux, le courroux de l’oncle outragé. Lui, cependant, s’est choisi un autre héritier. Charles Vernon, ce cousin que Lucretia n’a pas voulu accepter pour époux, devient le premier légataire désigné par le testament de sir Miles. A son défaut, et si sa postérité venait à s’éteindre, une substitution fait passer à miss Mivers et à ses hoirs les beaux domaines de Laughton. Enfin, cette seconde lignée étant épuisée, Lucretia Clavering retrouverait ses droits, qui deviennent, on le voit, fort hypothétiques.

Pour se consoler de cette fortune perdue, il lui reste avec un legs de 10,000 livres sterling l’amour de Mainwaring, cet amour qu’elle a payé si cher, et sur lequel peut-être elle a trop compté. Non que Mainwaring, homme d’honneur après tout, refuse de tenir envers la jeune fille déshéritée les engagemens qu’il avait pris quand elle était encore appelée à recueillir la succession de sir Miles ; mais, nous l’avons dit, même alors elle n’avait pas la première place dans son cœur. Mainwaring était subjugué par cette volonté si forte, et non pas attiré, comme vers Suzan, par un charme doux et vainqueur. D’ailleurs, miss Mivers, résignée et silencieuse, laisse trop bien voir que l’abandon de son amant lui coûtera le bonheur et peut-être la vie. Mainwaring ne peut se dissimuler qu’elle languit et, s’étiole, minée par le souvenir du temps où, tendrement aimé d’elle, il s’était volontairement associé à tous ses rêves d’avenir : Une compassion sincère rapproche Mainwaring de Suzan ; à