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sa vue, l’ancienne affection, un moment oubliée, renaît plus vive et plus impérieuse que jamais, et Dalibard, dont la sombre figure est encore mêlée à cette complication du drame, peut s’applaudir de son infatigable persévérance. Il en est amplement payé lorsque Lucretia, cachée avec lui dans un cabinet voisin de l’appartement où Mainwaring et Suzan se revoient seuls pour la première fois, apprend, à n’en pouvoir douter, qu’elle est, des deux, la moins aimée. Trop fière pour accepter un cœur secrètement réservé à une autre, elle s’élance entre les deux amans, rend à Mainwaring les sermens qu’elle a reçus de lui, et dépose, sur le front de sa cousine évanouie, un baiser glacé, une ironique bénédiction. Puis, le cœur pétrifié, ne respirant plus que pour la vengeance, vouée au mal par son infortune qui laisse en elle une blessure envenimée, elle se livre, sans amour, à l’infâme auteur de sa ruine. Dalibard, rappelé en France par le premier consul, y ramène Lucretia, dont il a dompté l’énergique résistance. Digne prix d’une telle conquête, digne femme d’un tel mari, digne belle-mère d’un enfant comme Gabriel-Honoré, Lucretia est prédestinée au crime comme elle l’est au malheur.

A Paris, après deux ou trois ans de trêve, la lutte recommence, plus acharnée que jamais, entre ces deux ennemis également implacables, également rusés, également inaccessibles aux scrupules ou aux remords : lutte domestique, sourdement menée, qu’aucun bruit ne révèle au dehors, et qui doit cependant finir par la mort de l’un des combattans. Dalibard est l’agresseur. Prodigue comme le sont tous les ambitieux, il a déjà dévoré la plus grande partie de la dot que Lucretia lui avait apportée. Pour suivre la route où il est entré et qui le mène aux postes les plus élevés du gouvernement, il lui faut de nouvelles ressources. Or, la femme d’un fournisseur s’est trouvée sur son chemin tout à propos pour les lui donner. Il s’est fait aimer d’elle, et, — circonstance étrange, — elle est devenue veuve presque aussitôt après avoir écouté ce terrible adultère. Lucretia, indifférente aux infidélités de son mari, n’a pas remarqué cette coïncidence ; mais Gabriel-Honoré Varney, plus attentif, plus expert en trahisons, plus habitué aux forfaits paternels. Varney qui revoit chaque jour la place où le sang de sa mère coulait jadis, versé par Dalibard, Varney se charge d’éclairer cette femme imprudente. S’il agit ainsi, n’allez pas croire à une autre inspiration que celle de l’égoïsme. Gabriel a besoin d’une alliée ; les sinistres projets de son père ne le laissent pas dormir tranquille, et ce n’est pas trop que d’être deux pour tenir en échec un scélérat aussi résolu.

Lucretia est avertie. Sans avoir complètement prévu qu’elle en viendrait à cette extrémité d’avoir à défendre sa vie contre le misérable auquel elle s’était donnée, elle pressentait vaguement un combat terrible, et, à tout hasard, elle était armée. Maintenant qu’elle a pénétré