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La crise se déclare quand la mère de Perceval apprend, en Italie, que son fils, peu au courant des chroniques de famille, a noué des relations assez intimes avec la veuve de Dalibard et de Braddell. Effrayée pour lui de ce rapprochement inattendu, effrayée surtout de le voir épris d’une jeune fille élevée par une tante comme Lucretia, la prudente veuve de sir Charles Vernon envoie à Londres le subrogé-tuteur de Perceval, un brave militaire, homme d’expérience et de résolution ; pour éclairer son jeune pupille sur les menaçantes intrigues dont il est entouré. Ni Lucretia, ni Varney ne s’y trompent. Une seule explication, révélant à Perceval leur existence passée, peut et doit le soustraire pour jamais à leur influence. D’ailleurs, les preuves cherchées avec tant d’ardeur par Lucretia, ces preuves qui doivent l’aider à établir la véritable filiation de John Ardworth, se multiplient et se corroborent chaque jour. Varney est donc bien fort quand il insiste pour que sa complice ne s’expose plus à perdre, par de nouveaux délais, le fruit de tant de machinations et de tant d’habiles menées. Aujourd’hui, admis à Laughton-Priory, ils ont à leur merci tous les moyens d’en finir sans que leurs crimes soient connus, sans que leur culpabilité du moins puisse être prouvée. Dans quelques jours, chassés de cette maison où ils ne sont rentrés que par surprise, ils seront contraints de tout hasarder pour en venir à l’exécution de leurs horribles projets.

Lucretia, vaincue, se décide enfin. Chaque nuit, dans l’ombre où ses vêtemens noirs lui permettent de glisser invisible, cette fausse paralytique, dont personne ne songe à surveiller le sommeil, s’en va, d’un pas agile et furtif, jusqu’au chevet d’Helen endormie. Quelques gouttes d’une liqueur subtile, qui n’altère ni la faible saveur, ni la limpidité du breuvage le plus innocent, sont mêlées par elle à la potion qu’Helen doit prendre chaque matin. Aussi la jeune fiancée, d’abord faiblement indisposée, sent-elle aggraver ce mal dont les symptômes, connus des médecins, ne donnent aucun soupçon. Une toux de plus en plus sèche, une angoisse spasmodique qui semble annoncer un anévrisme, préparent les esprits à quelque subite catastrophe. Helen, mieux que toute autre, sent les rapides progrès des souffrances qui la détruisent ; mais ce qu’elle en peut dire n’est pas de nature à éclairer ceux qui la soignent, et son amant désespéré la voit s’éteindre rapidement sous ses yeux, sans rien pouvoir opposer à ces nocturnes visitations du meurtre, qui poursuit froidement son travail infernal.

Ce que Perceval ignore, un homme cependant pourrait le lui dire, car cet homme a surpris, par hasard, l’empoisonneuse errant dans les longues galeries du château, sans bruit, sans lumière, noire de la tête aux pieds ; mais quand bien même Becky Carruthers, — ce pauvre balayeur des rues, dont Perceval, par pure charité, a fait un groom d’écurie, — quand bien même il oserait soupçonner Lucretia, aurait-il