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chance d’être écouté ? Être abject, infirme, dégradé s’il en fut, maître Beck ne hasarde pas même une conjecture, et l’œuvre de mort se continue sans obstacle.

Quant à Perceval, condamné comme Helen, il ne doit périr qu’après elle. C’est dans les paroxismes de sa première douleur, c’est au sein de son désespoir convulsif que les deux complices, passés maîtres dans leur art terrible, comptent le foudroyer par un de leurs plus violens poisons. Celui-ci pousse le sang vers le cerveau, détermine le délire, les ébranlemens nerveux, la mort enfin, sans que le médecin révoque en doute, un seul moment, la connexion apparente de ces phénomènes avec ceux d’un chagrin devenu tout à coup intolérable, et de la folie que ce chagrin peut déterminer en quelques heures.

À ce plan si bien combiné, à ces projets sinistres pour lesquels l’alchimie de Dalibard fournit des moyens infaillibles, il semble que les deux amans ne peuvent échapper. L’action calculée du poison a déjà relâché les fibres musculaires et dénaturé la couleur des tissus autour du cœur d’Helen. Le scalpel du chirurgien y fouillerait maintenant sans démentir les probabilités d’une mort causée par l’angina pectoris, ce mal si difficile à combattre chez les sujets nerveux que de vives émotions ont coup sur coup agités. Nous avons vu comment Perceval doit périr : qui donc pourrait sauver l’un ou l’autre ? À Becky Carruthers, — personnage plus important qu’on n’a pu le supposer d’abord, — cette mission est réservée. Déjà inquiet, depuis sa découverte nocturne, il surveille les menées de Varney et de Lucretia, et lorsqu’au milieu du désordre que causent les souffrances de la mourante Helen, ils croient pouvoir se ménager une secrète conférence où les dernières mesures à prendre seront concertées entre eux, cette entrevue a pour témoin le pauvre Beck, caché, comme Polonius, derrière une tapisserie de haute lisse. Il entend les deux complices projeter le crime qui va les débarrasser de Perceval, son maître adoré. Il les voit jeter au feu, — une fois qu’ils ont mis à part le poison préparé pour ce dernier forfait, — tous les mortels trésors que Dalibard avait entassés. Lucretia seulement passe à son doigt une bague tombée en dehors de la cassette mystérieuse. Cette bague est faite sur le modèle de celles qui servaient aux empoisonneurs italiens du XVIe siècle ; elle ressemble à cette petite clé d’or que César Borgia confiait à celui de ses courtisans dont il voulait se défaire sans scandale. Une pointe cachée et qui laisse à peine trace de la blessure qu’elle a ouverte, un puissant venin chassé sans le moindre effort dans l’imperceptible déchirure de l’épiderme, composent cette arme redoutable.

Or, tout à coup, lorsque Varney l’a quittée, Lucretia, tournée vers une glace, y voit l’honnête espion se glisser à petit bruit vers la porte. Sur ses traits décomposés, elle lit l’assurance qu’il a surpris l’entretien