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l’entreprise a chance, non-seulement de se suffire bientôt à elle-même, mais encore d’amortir les frais de son établissement. Si l’affaire ne répondait pas à cette condition, c’est qu’elle serait mauvaise commercialement, et alors il y aurait pour la métropole, comme pour les colons eux-mêmes, profit à s’abstenir. Il importe donc que les hommes d’état appelés à prononcer sur l’avenir de l’Algérie règlent leur jugement d’après ce principe : un système de colonisation, quel qu’il soit, ne peut réussir qu’à la condition de payer ses frais, c’est-à-dire de garantir tous les capitaux, de rémunérer tous les services au moyen des ressources créées par la colonie elle-même.

Si les gouvernemens procédaient d’une manière rationnelle, ou même avec le simple bon sens du marchand qui fonde une maison de commerce à l’étranger, le premier soin serait d’évaluer les sacrifices nécessaires à la consolidation d’un établissement extérieur. L’entreprise de peupler et de fertiliser un pays est plus ou moins difficile, plus ou moins dispendieuse. Qu’on imagine un territoire isolé dont l’état sanitaire ne fût pas suspect, dont la possession ne fût pas disputée par les armes, le peuplement d’une telle contrée pourrait être effectué facilement et à peu de frais. Telle ne s’est pas présentée à nous l’Algérie. Inquiétée par un ennemi opiniâtre, cette colonie doit acheter la sécurité, soit que les habitans enrégimentés en milices paient de leur temps et de leurs personnes, soit qu’un impôt spécial vienne en déduction du budget de la guerre. L’assainissement des lieux, résultant des desséchemens, des endiguemens, des plantations, enfouira beaucoup d’argent. Un capital relativement plus considérable qu’ailleurs (nous le démontrerons plus tard) sera nécessaire à la bonne exploitation du pays, et on ne l’obtiendra qu’en offrant aux capitalistes l’appât des gros bénéfices. La terre africaine ne pourra être fécondée qu’avec le concours des hommes de science, qu’il faudra rémunérer dignement. Enfin, condition suprême et sans laquelle il n’y a plus pour nous en Afrique que ruine et périls, on n’obtiendra en assez grand nombre les hommes qui doivent faire le fonds de la population franco-africaine, les ouvriers honnêtes, laborieux et énergiques, qu’en leur offrant des avantages solides et positifs : c’est encore de l’argent à fournir, et beaucoup d’argent. Il n’y a donc pas à se faire illusion : la colonisation de l’Algérie coûtera très cher, aussi cher qu’aucune autre entreprise de ce genre puisse jamais coûter.

Ces conditions d’existence, sécurité, salubrité, primes offertes aux capitaux, à l’intelligence, au rude labeur, ne peuvent être réalisées, nous le répétons, qu’au moyen des ressources créées au sein de la colonie. La France voulût-elle faire vivre artificiellement son nouvel empire à force de subventions, qu’elle n’y réussirait pas : le sacrifice dépasserait ses forces. La dépense des dix premières années d’occupation,