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commencer les opérations. Jamais Nelson n’avait été plus grand que dans ces circonstances difficiles. Le vaisseau l’Invincible, expédié d’Angleterre avec le contre-amiral Totty pour renforcer la flotte de la Baltique, venait de se jeter sur un des bancs de la mer du Nord[1], et cet affreux événement, qui coûta la vie à plus de 400 hommes, avait éveillé dans l’escadre de fâcheux pressentimens. Les pilotes qu’on avait amenés d’Angleterre, effrayés d’avoir à conduire des vaisseaux de ligne dans des parages qu’ils n’avaient explorés que sur des navires de commerce, ne cessaient de signaler à chaque pas de nouveaux périls et des obstacles insurmontables. Nelson avait réponse à tout, et, plein de confiance en sa fortune, il conservait, au milieu de ces alarmes, le même calme et la même sérénité.

Le 26 mars, l’amiral Parker se décida enfin à appareiller. Il se dirigea sur le grand Belt ; mais, après avoir fait quelques lieues le long de la côte septentrionale de l’île de Seelande, il céda aux observations de son chef d’état-major, le capitaine Otway, et revint à l’idée de donner dans le Sund. Avant le coucher du soleil, la flotte eut repris son premier mouillage. L’amiral Parker cependant, encore indécis, fit demander le lendemain, au gouverneur du château de Kronenbourg, s’il avait l’ordre de s’opposer au passage de la flotte anglaise. La réponse de cet officier fut telle que l’amiral Parker devait s’y attendre. « Il n’avait point, disait-il, en sa qualité de soldat, à se mêler de politique ; mais il ne lui était point permis de laisser une flotte dont les projets lui étaient inconnus passer impunément sous les canons de sa forteresse. »

L’escadre anglaise dut donc se préparer à forcer l’entrée du Sund. Le 30 mars, au point du jour, elle profita d’une belle brise de nord-nord-ouest pour mettre sous voiles et se former en ligne de bataille. Nelson avait quitté son lourd vaisseau à trois ponts et avait arboré son pavillon à bord du vaisseau l’Éléphant de 74. Il commandait l’avant-garde. L’amiral Parker était au centre, le contre-amiral Graves à l’arrière-garde. Dès la veille, le capitaine Murray, sur le vaisseau l’Edgar, avait pris poste avec la flottille de bombardes et de canonnières dans le nord du château de Kronenbourg, et au premier boulet tiré par les Danois, les bombardes ouvrirent leur feu sur cette place. Si les deux rives du détroit eussent été également bien défendues, également armées de canons de gros calibre, il est certain qu’obligés de passer à 2,000 mètres environ des batteries ennemies, les vaisseaux anglais eussent éprouvé de graves avaries ; mais ils n’auraient pu être arrêtés, car on a forcé avec des escadres bien inférieures à celle de l’amiral Parker les passages plus difficiles que le Sund[2]. Pas un boulet, d’ailleurs, ne

  1. À 16 milles dans le nord-est de Yarmouth.
  2. Le Tage, dont l’ouverture entre le fort de Bougie et de Saint-Julien n’est que de 2,480 mètres ; le canal des Dardanelles, large de 1,600 mètres ; l’entrée de Rio-Janeiro, d’une largeur moindre encore, car, sur un point, elle n’excède pas 1,250 mètres.