Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voure éclatante des chevaliers de la Table-Ronde. Il est facile de saisir dans le livre publié par M. Rückert des rapprochemens lumineux entre cette chevalerie arabe du IXe siècle et celle qui va se former, deux siècles plus tard, au sein de la société chrétienne.

On est heureux de retrouver dans la poésie allemande contemporaine ces belles études qui faisaient jadis sa gloire. C’est une bonne fortune de voir renaître ce noble souci de l’art, ce grave enthousiasme cosmopolite dont Goethe a été le prêtre majestueux, et que les mesquines prétentions de nos jours ont fait repousser avec dédain. Est-il permis de croire à ces promesses ? nous l’espérons. La tyrannie des poètes politiques de 1840 est déjà ruinée ; la lyre reprendra ses sept cordes. Tandis que Rückert continue ses études orientales, Uhland recueille les chants des Minnesinger ; avec quel soin pieux, avec quel sentiment filial, on doit le comprendre ! Ainsi, avant de reparaître sous une forme plus directe, la poésie des maîtres s’annonce dans les travaux sérieux, dans les traductions et les recherches lumineuses. La poésie ! qui pourrait, en effet, y renoncer si long-temps ? N’est-elle pas le besoin le plus impérieux des ames élevées, des intelligences délicates ? Les émotions violentes qu’une littérature suspecte emprunte aux passions du moment ou aux vulgaires appétits ne détourneront pas les esprits de la pure beauté, de l’idéal, qui ne s’éteint ni ne pâlit jamais. Si l’imagination se tait, si l’art sérieux, l’art divin, se cache trop long-temps, on va chercher ses traces chez les plus humbles de ses disciples. C’est pour cela que nous avons interrogé aujourd’hui quelques talens aimables. Certes, on l’a vu, tous ne sont pas également dignes d’estime. Je désirerais bien que M. Geibel, M. Beck, M. Schefer, pussent donner les mêmes espérances que M. Maurice Hartmann ; je désirerais trouver dans le Prëtre séculier, dans les Chansons d’un Homme pauvre, cette maturité vigoureuse, cette belle alliance de la pensée et de la forme, en un mot cette science littéraire qui place déjà très haut l’auteur de la Coupe et l’Épée. Ce que j’ai voulu surtout, je l’ai dit en commençant, c’était indiquer une situation nouvelle, un retour à la pure poésie, à l’art vrai et désintéressé, et, bien que les sentiers meilleurs n’aient pas été ouverts par des poètes du premier ordre, nous ne devions pas négliger d’y suivre la Muse immortelle. Son ombre même est douce, a dit un de ceux qui l’ont le mieux aimée. Il faut espérer pourtant que les maîtres reprendront bientôt la parole ; ils se taisent au-delà du Rhin, comme en France Lamartine, Alfred de Vigny, Hugo, de Musset, et ce silence est fatal aux lettres sérieuses. Qu’ils reviennent à leurs projets inachevés ; que M. Henri Heine, que M. Anastasius Grün, provoqués par tant d’appels, que M. Freiligrath et M. Herwegh, effrayés peut-être d’une victoire trop éclatante, tous enfin, qu’ils reviennent aux belles contrées de l’imagination ! Ils ont encore plus d’un effort à tenter pour la durée de leur nom, ils doivent aussi plus d’un conseil à leurs jeunes successeurs.


Saint-René Taillandier.