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s’écrièrent alors à la fois les deux accusateurs. Ce cheval a l’œil gauche crevé ; nous avons pu hésiter une minute, mais nous sommes sûrs maintenant de ce que nous avançons. L’alferez enleva son manteau et découvrit les oreilles de sa monture. — Que votre excellence, dit-il à l’alcade, veuille bien examiner la tête de mon cheval ; elle verra qu’il n’est pas borgne le moins du monde et que ses deux yeux sont excellens. Après avoir regardé : — Qu’on arrête ces deux dénonciateurs ! s’écria l’alcade ; ce caballero est dans son droit, et ce sont deux coquins, Aussitôt la foule s’empressa autour de l’alferez, qui reprit en riant avec les curieux le chemin de la locanda.

Catalina n’y était pas établie depuis une heure et elle avait à peine eu le temps de réparer le désordre de sa toilette de voyage, lorsqu’on vint la prévenir que le señor don Antonio Calderon demandait à lui parler de la part de l’alcade. Quel pouvait être ce nouveau message ? Qu’annonçait cette visite ? Était-ce une seconde aventure ? Quoi qu’il en pût être, l’alferez ne pouvait refuser de recevoir l’envoyé de l’alcade ; il le fit prier de monter chez lui. Dès que don Antonio parut, sa politesse et sa physionomie joviale dissipèrent à l’instant les craintes du voyageur. Il était, lui dit-il, le neveu de l’évêque de Cuzco et le cousin de l’alcade de la Paz, et il venait de la part de ce dernier, lui exprimer tout le regret qu’il éprouvait de la ridicule scène du cheval. On punirait les deux soldats comme ils le méritaient, mais son cousin l’alcade serait heureux de pouvoir lui en donner lui-même l’assurance, et il l’envoyait (quoique à son regret il ne connût ni le nom, ni le pays, ni la qualité du voyageur) pour lui demander s’il voudrait lui faire l’honneur de venir dîner chez lui. Catalina respira fortement ; puis, se rappelant le conseil du président de Tucuman : — Je me nomme don José de Salta, répondit-elle ; je suis alferez au service de sa majesté catholique ; mon pays est la Biscaye, et je me rends à Cuzco pour mes affaires. — Quelle bonne fortune ! s’écria don Antonio ; mon cousin est Basque comme vous, et comme vous il part demain pour Cuzco. Si cela vous convient, señor alferez, nous ferons route ensemble.

Voyager sous la protection des lois, avec la justice elle-même, rien assurément ne pouvait mieux convenir à notre héroïne, que comnmençaient à lasser des aventures infiniment trop multipliées. Elle accepta donc l’invitation avec empressement et suivit don Antonio chez l’alcade. Don Pedro de Chavarria (ainsi se nommait l’éminent fonctionnaire) attendait son invité ; il le recul à merveille, lui témoigna ses regrets de la sotte aventure, et le présenta à doña Maria, sa femme, belle, Andalouse qu’il avait épousée un an auparavant. Doña Maria était le type parfait des Sévillanes, du genre de beauté desquelles on se fait en général une très fausse opinion. Elle n’était pas petite et vive, brune et