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négligemment sans jeter un seul regard en arrière, ne paraissant pas se soucier de ce qu’il venait de voir. Ce défaut de curiosité, à peu près général parmi les noirs de l’Australie, donne une triste idée de leur intelligence.

Sur la côte occidentale, les indigènes ne connaissent pas l’usage du canot ; à peine si quelques tribus se servent de radeaux grossiers. Les habitations sont aussi d’une simplicité rare, même parmi des sauvages : quatre pieux plantés en terre et supportant deux perches couvertes de branches d’arbres, voilà le palais du roi dégénéré de la nature. Le maître de cette misérable cabane se couche ou s’assied sur le sol, sans prendre le soin d’y jeter une natte ou des feuilles d’arbres. Les naturels passent souvent les nuits en plein air ; quand vient la mauvaise saison, ils se recouvrent de sable jusqu’au cou, et, le matin, on dirait qu’ils sortent de dessous terre.

Ces populations dégradées ont cependant des poètes. Les rapsodes australiens ne célèbrent guère l’amour ; les mystères religieux, la valeur dans les combats, les jouissances sensuelles, tels sont leurs thèmes favoris. Jamais les vers ne se récitent, on les chante ; quand un chant nouveau est composé, il circule bientôt de bouche en bouche parmi toutes les tribus qui parlent la même langue. Quelques peuplades connaissent aussi une espèce d’instrument de musique, formé d’un morceau de bambou aminci sur les côtés et percé de plusieurs trous. Le son ressemble à celui du bourdon. Cet instrument sert à accompagner des danses guerrières, presque toujours mêlées de gestes indécens. On a remarqué aussi de grossières ébauches tracées sur la surface des rochers ; les sujets sont variés : ce sont des figures humaines, des animaux, des armes, des ustensiles domestiques ou des scènes de la vie quotidienne. Ces ébauches sont-elles le début d’un art naissant ? Ne sont-elles pas, au contraire, le dernier témoignage d’un art immobile et engourdi entre des mains impuissantes ? Depuis des siècles, le sauvage ignorant donne une même forme à sa pensée sans avoir jamais su s’élever à de plus grandes conceptions.

Que gagnera cette race malheureuse au contact de l’Europe ? Va-t-elle se transformer sous le souffle de la civilisation, ou bien, comme les peaux rouges de l’Amérique du Nord, est-elle condamnée à disparaître peu à peu devant les développemens de l’activité européenne ? Pour percer les voiles de l’avenir, nous n’en sommes pas réduits à de pures hypothèses ; nous avons sous les yeux des faits accomplis. Que sont devenus, aux environs de Sydney, les aborigènes dont les ancêtres promenaient sur ces rivages une indépendance incontestée ? Cherchez-les dans les belles vallées qui avoisinent Botany-Bay, dans les fertiles plaines d’Iliawara, ce délicieux jardin de la Nouvelle-Galles du sud, sous les fougères immenses qui ombragent les collines : ils sont partis, ou plutôt