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à la nationalité allemande, lorsqu’elle proclame le droit imprescriptible des peuples de disposer de leurs destinées ? La théorie des frontières naturelles est quelque chose de si peu sérieux topographiquement et politiquement, qu’il n’y a pas même à la discuter ; ce n’est pas quand la Providence nous envoie en Afrique une immense mission colonisatrice et militaire, ce n’est pas quand elle prépare l’adjonction à notre territoire d’un littoral de deux cents lieues, que la France peut éprouver le besoin d’étendre ses frontières pour conserver son rang entre les nations. Mieux vaut notre drapeau aux cimes de l’Atlas qu’aux bords du Rhin, car l’Algérie nous assure la Méditerranée, et la rive gauche reconquise élèverait entre la France et l’Allemagne une barrière insurmontable. La France, vouée à la liberté et au travail, est dans des conditions industrielles et politiques qui la séparent des traditions de Napoléon comme de celles de Louis XIV, et je ne sais guère que M. l’abbé Genoude qui veuille aujourd’hui conquérir la Belgique, par dévouement sans doute pour l’ancienne constitution de la monarchie.

Félicitons-nous d’avoir vu l’esprit de violence et de conquête solennellement répudié par tous les orateurs qui ont abordé la tribune durant le grand débat qui vient de finir. Cette unanimité est, sans contredit, le plus grand résultat politique de la discussion de l’adresse. Elle change complètement notre situation dans le monde ; en modifiant le caractère de l’isolement qui nous est fait, elle le rend sans péril pour nous, parce qu’il cesse d’être une menace pour l’Europe. Nous conquérons ainsi dans la confiance des peuples le terrain qu’on nous refuse encore dans les chancelleries ; lorsque les gouvernemens auront compris que l’arme de la calomnie est devenue impuissante, ils inclineront davantage vers des sentimens d’équité et de bienveillance. La France parle si haut à toutes les sympathies des peuples, elle est, par ses institutions et par ses mœurs, l’expression si éclatante de leurs vœux les plus chers et de leurs plus vagues espérances, que du jour où les susceptibilités nationales seront pleinement rassurées, les nations viendront à elle en entraînant leurs gouvernemens. La France, en effet, ne représente pas seulement le droit abstrait dans le monde, elle le représente réalisé à tous les degrés de la vie sociale. Chez nous, l’égalité règne dans la famille par le droit civil, dans les mœurs par la souveraineté du talent ; la liberté règne dans la sphère politique par les lois, dans celle de la conscience et de la foi par les garanties les plus solennelles ; l’existence sociale est douce, parce que toutes les conditions s’y confondent, que tous vivent d’une vie commune, et que la France ne doit à personne ces grandes réparations séculaires si difficiles à octroyer, si redoutables à refuser. Ni l’Italie irritée, ni la Pologne sanglante, ni l’Irlande affamée, ne s’attachent à ses pas comme un péril et comme un remords ; elle est libre dans ses allures ; libre dans la spontanéité de ses pensées, et c’est pour