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prises sur quelques patriciens romains ou même sur des chefs hérules tués ou en fuite après la conquête. Le bouleversement fut donc plus réel qu’apparent ; il se fit dans les titres de propriété plus que dans la terre même ; chaque colon resta dans sa chaumière, continuant à cultiver la même terre, seulement pour de nouveaux maîtres, ou, comme les appelait la loi de Théodoric, pour de nouveaux hôtes (novis hospitibus).

Cette opération une fois consommée, Théodoric n’épargna rien pour mêler les deux peuples, pour en faire une seule et même nation. Loin d’imiter les autres chefs barbares, dont le premier soin, en se transportant dans les pays conquis, était de maintenir rigoureusement leurs lois et leurs coutumes, et de s’isoler des vaincus, Théodoric répétait cette formule que l’histoire a conservée : Romanus imitetur Gothum, Gothus Romanum sequatur. Et, sachant toute la puissance des signes sur l’esprit des peuples, il prit, avec la pourpre, la chlamyde et la chaussure romaines. Sa législation entière est conçue dans cet esprit. Je ne pourrai mieux justifier l’analogie que j’ai signalée entre les instincts de Théodoric et les doctrines philosophiques du dernier siècle qu’en citant, avec M. du Roure, quelques fragmens des monumens de son règne.

Théodoric institue de nouveaux magistrats ; il écrit aux municipalités du pays : « Vous vous touchez par les possessions, touchez-vous par la charité ; je vous envoie un comte goth pour régler les différends entre Goths ; entre Goths et Romains, il s’adjoindra un officier romain ; entre Romains, le différend se décidera par des officiers romains. »

Ses soldats n’étaient pas toujours contens de la part qui leur était faite ; souvent des Romains se plaignaient d’avoir été dépossédés. « Si l’usurpation a eu lieu sous notre règne, répondait Théodoric, sans délégation de terres bénéficiales, qu’il y ait sur-le-champ restitution ! qu’on ne respecte que la prescription trentenaire, qui doit consolider toutes choses. » — « Faites rendre à Manicarius, dit-il ailleurs, les esclaves que les soldats goths lui ont enlevés ; en tout, contenez l’esprit militaire, qui se plie difficilement à la règle envers les personnes civiles. Jura, non brachia : le droit, non la force. ».

Là enfin où ne se trouvaient que des magistrats goths : « Ayez soin, leur écrit-il, dans toutes les affaires entre les Goths et les Romains, de tenir la balance égale, et de décider finalement par la seule considération des lois : nous ne permettons pas un droit séparé pour deux races que nous voulons embrasser dans un seul esprit et dans le même amour. »

Il entendait ainsi la justice pour ses anciens compagnons d’armes ; voici comment il la pratiquait pour lui-même : « N’oubliez pas, écrivait-il à Marcellus qui devait juger une cause dans laquelle il était intéressé,