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le dit M. Arnold Guyot, à qui on doit cette belle découverte, le point où venaient converger ces puissans glaciers qui ont si profondément modifié la surface de la plaine comprise entre les Alpes et le Jura. Nous ne les suivrons pas tous dans leur parcours, car tous nous présenteraient des particularités analogues à celles du glacier de l’Arve. Traçons seulement à grands traits les limites de l’ancienne extension de ces glaciers.

Le glacier du Rhône prenait naissance dans toutes les vallées latérales qui découpent les deux chaînes parallèles du Valais, et où se trouvent les montagnes les plus élevées de la Suisse, le Mont-Rose, le Mont-Cervin, la Jungfrau, le Velan, etc. Ce glacier remplissait le Valais et s’étendait dans la plaine comprise entre les Alpes et le Jura, depuis le fort l’Écluse, près de la perte du Rhône, jusque dans les environs d’Aarau. C’était le glacier principal de la Suisse ; c’est lui qui a charrié ces blocs innombrables qui couvrent le Jura jusqu’à la hauteur de 1 040 mètres au-dessus de la mer. Les autres glaciers n’étaient que de faibles affluens du glacier du Rhône incapables de le faire dévier de sa direction. Ainsi, lorsque le glacier de l’Arve le rencontre sur la crête des Salèves ou sur les flancs des Voirons, on reconnaît à la disposition des moraines que le glacier du Rhône continue sa marche, tandis que celui de l’Arve s’arrête brusquement. De même un fleuve rapide refoule le faible ruisseau qui lui apporte le tribut de ses eaux.

Les autres glaciers secondaires occupaient les principales vallées de la Suisse. Tels étaient le glacier de l’Aar dont les dernières moraines couronnent les collines des environs de Berne, celui de la Reuss qui a couvert les bords du lac des Quatre-Cantons de blocs arrachés aux cimes du Saint-Gothard. Celui de la Linth s’arrêtait à l’extrémité du lac de Zurich, et la ville est bâtie sur sa moraine terminale. Enfin celui du Rhin, moins étudié que les autres, occupait tout le bassin du lac de Constance, et s’étendait jusque sur les parties limitrophes de l’Allemagne.

Ainsi donc, pendant la période de froid qui a précédé l’apparition de l’homme sur la terre, la Suisse était une vaste mer de glace dont les racines s’enfonçaient dans les hautes vallées des Alpes, tandis que l’escarpement terminal s’appuyait sur le Jura. De même, sur le versant méridional de la chaîne, les glaciers descendaient dans les plaines du Piémont et de la Lombardie. Ceux du revers méridional du Mont-Blanc se réunissaient pour former le glacier de la vallée d’Aoste. Sa moraine terminale s’élève comme une digue gigantesque aux environs de la ville d’Yvrée ; c’est la Serra du Piémont. La plupart des lacs de la haute Italie doivent leur existence aux moraines frontales de ces grands glaciers ; en barrant le cours des fleuves, elles les ont forcés à s’étendre sous forme de nappes liquides. Parmi les moraines les plus