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de retentissement pour obliger l’administration d’abandonner ce malencontreux projet. M. de Laborde insistait non-seulement sur les dangers d’un déménagement pour tous les trésors que renferme la Bibliothèque royale, mais il s’élevait encore avec force contre cette funeste manie de détruire, particulière à notre époque, et qui a déjà privé la capitale de tant de beaux édifices. N’était-ce pas un scandale, en effet, d’abattre ces salles magnifiquement décorées par Romanelli, qui seules en France nous donnent une idée de l’architecture et de l’ornementation italiennes, pour élever à leur place des boutiques et bâtir des magasins de nouveautés ? Après avoir victorieusement défendu le bâtiment qui contient la Bibliothèque royale, M. de Laborde nous devait son histoire ; il nous la donne aujourd’hui complète et intéressante, racontant non point seulement sur quel plan l’édifice fut construit, quels agrandissemens il a reçus, mais encore quels hommes l’ont habité, quels événemens se sont passés à ses portes.

Voici en quelques mots l’histoire de la Bibliothèque royale. En 1643, le cardinal Mazarin acheta pour s’y loger l’hôtel du président Tubeuf, situé au coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs et de la rue Richelieu. Alors ce quartier était à peine habité, mais Mazarin en avait compris l’avenir. Bientôt Mansart agrandit la demeure assez médiocre du président Tubeuf. Le cardinal, qui conservait le souvenir des grandes peintures murales de son pays, manda les deux plus célèbres peintres italiens de son époque et les chargea de décorer son palais de compositions à fresque. Grimaldi et Romanelli n’étaient point des Raphaël, mais ils avaient conservé quelques-unes des traditions des maîtres, et les salles qu’ils ont peintes présentent un système, un ensemble de décoration qu’on chercherait vainement aujourd’hui dans nos monumens modernes. Les fresques de Romanelli offrent encore un intérêt particulier. On sait que ces déesses mythologiques plus ou moins décolletées, peintes sur les voûtes de la salle des manuscrits, sont les belles dames de la cour, qui ne firent point de difficulté à donner leurs portraits pour orner la demeure d’un prince de l’église. — Dans ce palais tout resplendissant de dorures et de peintures, le cardinal entassa une foule d’objets d’art, statues, tableaux, tapisseries, meubles précieux, enfin une bibliothèque de quarante mille volumes, magnificence inouie alors, et que peu de parvenus ont cherché depuis à imiter. À la mort du cardinal, son palais et ses immenses collections passèrent entre les mains de sa nièce Hortense de Mancini et du duc de La Meilleraye, qui, pour me servir d’une expression de Saint-Simon, avait l’honneur d’être le plus grand fou du royaume. Cet animal, qui avait à se plaindre des femmes et de la sienne en particulier, s’armant d’un marteau, tombe un jour sur ces belles statues et les mutile. « Il choisit pour partage ce sexe qu’il fuit et qu’il désire, dit Brienne, se jette sur leurs parties les plus éminentes et avec tant d’emportement, que l’on voyait bien à la fureur de ses coups que ces marbres froids l’avaient quelquefois échauffé. » Cela se passait en 1668. Qui croirait qu’en 1846 il a été question d’achever l’œuvre de destruction de M. le duc de La Meilleraye ?

Ce furieux mort, le palais Mazarin devint l’hôtel du fameux financier Law, et c’est une question de savoir si le cortége des parasites et des solliciteurs y fut plus ou moins grand qu’au temps du cardinal. Après la déconfiture de l’Écossais, l’abbé Bignon eut l’heureuse idée, en 1724, de demander ce bâtiment vide pour y placer la Bibliothèque royale, alors fort à l’étroit dans le Louvre. Espérons que cette magnifique collection est fixée désormais.

Pour écrire cette histoire que j’abrège en quelques lignes, M. de Laborde avait