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le cœur recommençait à murmurer, à se plaindre, à se révolter. L’amant de Laure se sentait engagé dans une voie sans issue. Retourner en arrière, se détacher de la femme qui gouvernait toutes ses pensées, essayer de l’oublier, il ne fallait pas y songer ; un tel projet ne pouvait pas même traverser son esprit. Le malheureux sentait tout le poids de sa chaîne et n’osait la briser, car il comprenait trop bien qu’à peine libre, à peine rendu à l’indépendance, il pleurerait amèrement son esclavage. Une pensée inexorable assiégeait son ame à toute heure, s’asseyait à son chevet, troublait son sommeil et désolait ses rêves - Elle m’aime, je le sais, je n’en puis douter, j’ai lu dans ses yeux le secret de son cœur ; elle a beau s’en défendre, elle a beau se montrer sévère et cacher la pitié sous la colère, elle n’a pu me dérober son émotion, son attendrissement ; ce n’est pas contre moi seul, c’est contre elle-même aussi qu’il lui faut lutter. Loin de moi comme près de moi, elle trouve en elle-même un ennemi à combattre, un danger à repousser. Plus d’une fois peut-être ses vœux sont allés au-devant des miens, plus d’une fois elle s’est dit qu’elle n’avait rien à me pardonner, qu’elle-même, aux yeux de Dieu, avait besoin d’indulgence, qu’elle avait perdu le droit de me juger, de me condamner, qu’une commune sentence était suspendue sur nos têtes. En se condamnant, elle m’absout ; où commence la complicité, la justice se tait. Elle m’aime, je ne puis fermer les yeux à l’évidence ; elle a pâli en me voyant partir, ses yeux m’ont suivi ; Sennuccio était près d’elle, épiant les larmes qui roulaient au bord de sa paupière, et pourtant elle ne sera jamais à moi. Son devoir lui est plus cher que mon bonheur ; ai-je le droit de lui reprocher sa résolution ? Sa vertu fait mon supplice ; mais dois-je l’accuser, quand elle se défend contre elle-même comme elle se défendait d’abord contre moi ? Mes plaintes ne peuvent s’adresser qu’au ciel, qui l’a placée trop tard sur ma route.

L’affliction, le désespoir de Pétrarque devaient aller plus loin encore. A force de s’apitoyer sur sa vie, à force de souhaiter, d’appeler la mort, l’amant de Laure devait concevoir, devait rêver, devait invoquer le suicide comme son unique refuge. Et ce n’est pas ici une conjecture plus ou moins vraisemblable, une conclusion tirée hardiment de quelques mots obscurs qui se prêtent aux interprétations les plus diverses. L’idée de la mort volontaire paraît dans les vers de Pétrarque sous une forme qui n’a rien d’ambigu. Cette idée s’est-elle souvent présentée à son esprit ? Il est difficile de le savoir, et la lecture attentive de ses œuvres ne fournit à cet égard aucun renseignement. Quoi qu’il en soit, le poète a triomphé de son désespoir, il a résisté à la tentation du suicide. Si l’on soumet à un examen sévère les sonnets et les canzoni où Pétrarque exhale sa douleur, on arrive à comprendre qu’il a trouvé dans l’analyse et la peinture de ses souffrances une consolation que